Elsa Abderhamani, artiste et cofondatrice de la revue de BD Bien, monsieur
«Le Pen n’est évidemment pas une option. Mais il n’est pas question d’aller voter Macron. Je n’ai pas pu m’y résoudre il y a cinq ans, malgré les pressions de mon entourage, parce que rien n’allait dans son programme. Ni l’économie ni la culture… Rien. Quelque part, il a été fidèle à ses idées. Le spectre des Le Pen ne peut pas servir d’excuse pour voter pour n’importe qui tous les cinq ans. J’espère que Philippe Poutou se représentera. Mais au second tour, je n’irai voter que si le vote blanc est pris en compte.»
Swann Arlaud, acteur (Grâce à Dieu, Petit Paysan, Perdrix…)
«La perspective du vote barrage est terrifiante, car c’est un renoncement. Ça m’horrifie d’être face à un tel ultimatum dans quelques mois. Aujourd’hui, je peux envisager l’abstention. Ce quinquennat qui n’est pas fini a été si catastrophique qu’on se demande parfois si pire est possible. Je pense notamment aux violences policières non assumées, à notre ministre de l’Intérieur qui explique à la télé que Marine Le Pen est «molle», ou à la manière dont la révolte des gilets jaunes a été entendue. Vis-à-vis de la culture, le gouvernement a fait le choix de la consommation. Un choix politique d’ouvrir les magasins où les gens s’entassent avant Noël et de fermer les lieux de culture alors que les épidémiologistes disent qu’on ne s’y contamine pas. Au-delà de la question des besoins vitaux, c’est un choix de société très inquiétant de nier la culture, ou de la considérer comme une variable dont l’absence ne priverait qu’une petite catégorie de la population et une corporation.»
Olivier Assayas, cinéaste (Sils Maria, Cuban Network, Irma Vep…)
«Je vote et je persisterai à voter écologiste au premier tour et pour le candidat le moins à droite au second. Et je suis, dans le cas présent, entièrement à l’aise avec ce que vous appelez un vote barrage, barrage au pire.»
Michel Cloup, musicien (au sein de Diabologum, Expérience…)
«En 2017, j’ai marché dans la combine et voté à contrecœur pour faire ce fameux barrage au Front national, qui est devenu pour ma génération une habitude malheureuse. On a grandi avec cette idée qu’il fallait se déplacer coûte que coûte aux urnes pour empêcher le pire. Mais là, on assiste à l’effondrement de cette tradition. L’élection de 2017 a sans doute été celle de trop. Autour de moi, c’est quasi unanime : avec un second tour identique en 2022, personne n’ira voter. Et au-delà du ras-le-bol et des désillusions, il y a un problème de terminologie. Qu’on continue à parler de gauche et de droite, d’accord, mais il serait temps d’ajuster les étiquettes. Parler encore en 2021 du PS comme d’un parti de gauche, c’est risible. C’est un parti du centre, comme les Verts. LREM a prouvé qu’il était à droite, et même à droite de la droite. Les médias ont une responsabilité et un rôle à jouer désormais, pour remettre les choses à leur place, vu que tout l’échiquier politique s’est déplacé vers la droite sans qu’on en prenne acte clairement. En parler plus franchement aux électeurs changerait déjà un peu les choses − au moins ils n’auront pas, dès son énonciation, l’impression que le jeu est entièrement faussé.»
Marie Desplechin, écrivaine (Verte, la Vie sauve, Sans moi…)
«Je ne peux pas ne pas aller voter. Impossible. Le droit de vote, on l’a, on s’en sert. J’irais voter Macron, le cœur au bord des lèvres. Le niveau de l’arnaque et de la déception est gigantesque, mais avec toutes les lois liberticides qui ont été mises en place, comment filer les clés à Marine Le Pen ? Ce que je souhaiterais, c’est un changement constitutionnel, qui nous sorte de cette centralisation qui promeut des arrivistes. S’il y avait 18 ministres de l’Education nationale, on pourrait espérer que toutes les écoles maternelles ne soient pas broyées par la même réforme qui ignore ce qu’est un petit enfant, par exemple. Il y aurait quantité de tocards, mais aussi des gens bien. Ma porte reste ouverte, je ne suis pas du genre à me laisser abattre, et pourtant, sous le gouvernement Macron, j’ai du mal à ne pas être désespérée. Pour ne pas être triste, je vais sur des combats locaux qui sont eux aussi en grand danger, la ZAD du triangle de Gonesse, les comités inter-hôpitaux…»
Jean-Marc Grangier, directeur de la Comédie de Clermont
«Bien sûr qu’on est obligés de faire barrage à Le Pen ! On n’a pas le choix. Et pourtant, rien qu’entendre parler de la présidentielle ajoute une angoisse terrible à celle qu’on éprouve. On aimerait déjà pouvoir comprendre les décisions du gouvernement, et la façon dont il a banni la culture, qui nous reste à tous en travers du gosier, même si elle est sous assistance financière. De plus en plus, on entend les publics dire à quel point l’accès aux musées, aux scènes, aux cinémas leur manque. Il ne s’agit pas d’une plainte corporatiste. Si tout reste fermé, c’est à la fois par manque d’idées et de confiance en nous. Manque de confiance : on a démontré que lorsqu’on nous imposait des règles sanitaires, on était capables de les respecter, qu’on n’était pas des fous qui mettent le public en danger. J’ai présenté trois spectacles dont un déambulatoire de Stefan Kaegi où le public manipulait des objets. Il avait une charlotte sur la tête, des gants, des masques, et la désinfection avait lieu pendant le spectacle. Ensuite, il y a eu le Lac des cygnes d’Angelin Preljocaj avec 26 danseurs sur le plateau et personne n’a été malade. A chaque fois, le protocole était strict et adapté.
«Manque d’idées : choisir d’ouvrir les lieux de culture en pleine pandémie aurait pu permettre d’y faire entrer des personnes qui d’ordinaire n’en sont pas des usagers, mais qui dans ce contexte si contraint auraient pu découvrir cette part de rêve et d’imaginaire que l’art nous offre. L’épidémie ravive chez tout être humain le besoin de la puissance des œuvres et la nécessité de dialoguer avec elles pour mieux comprendre ce que nous sommes obligés de vivre aujourd’hui. C’est terrible que le ministère de la Culture, qui n’a que le mot de «démocratisation» à la bouche, n’ait aucune conscience du rôle de la culture en pleine crise. Cette défiance envers nous interdit au gouvernement d’attendre en retour une confiance absolue. Du coup, il est difficile d’imaginer d’aller voter. Et pourtant, je voterai.»
Gilles Rochier, dernier blouson noir de la BD française (TMLP, Petite Couronne…)
«Je viens de m’embrouiller avec mes potes sur cette affaire de second tour en disant que j’allais revoter Macron. C’était pour les emmerder, mais en vrai, je ne sais pas. J’ai toujours voté contre le Rassemblement national, c’est une évidence. Mais j’ai honte à l’idée de revoter Macron, ce type qui dirige le pays comme s’il s’agissait d’un projet marketing. Et si je ne vote pour personne, je vote pour le RN. J’ai la boule au ventre, j’ai l’impression d’être comme à la veille d’un bilan sanguin en attendant de savoir si ce que j’ai, c’est grave ou pas. Le RN a un boulevard, ils ont antenne ouverte à la télé. On regarde le ralenti d’un accident, du camion qui va dans le mur. Il y a quelques mois, je me disais que je ne voterais plus. Que je referais pas ce que j’ai fait pour Chirac et pour Macron, mais en vérité je ne sais pas.»
Marion Siéfert, autrice, metteuse en scène et performeuse (Jeanne_Dark_, Du sale !, le Grand Sommeil…)
«Je n’aime pas du tout cette question. La poser, c’est déjà participer à la fabrication artificielle d’un second tour Le Pen-Macron, comme si c’était une chose inéluctable. Macron et Le Pen au premier tour en 2017, c’est 45 % des suffrages. 55 % des électeur.ices ont décidé de ne pas voter pour eux, la majorité donc, et je ne compte pas ici la masse immense des abstentionnistes.
«60 % du programme de Le Pen...
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