Tournées européennes bouleversées, fuite des cerveaux, reconversions professionnelles des artistes… Le Brexit risque d’avoir un impact dramatique sur le milieu culturel britannique. Le journaliste Antoine Pecqueur, spécialisé en économie de la culture et auteur d’un récent Atlas de la culture, décrypte la situation.
En complément de notre dossier spécial Brexit paru dans notre numéro du 27 janvier, avec le rappeur britannique slowthai en couverture, nous avons interrogé le journaliste spécialisé en économie de la culture Antoine Pecqueur, qui est aussi bassoniste et conseiller à la direction de la MC2 de Grenoble, sur les conséquences de la sortie de la Grande-Bretagne pour le secteur culturel.
Quel sera le principal impact du Brexit pour les artistes britanniques ?
Antoine Pecqueur - Pour le spectacle vivant et la musique, l’impact va être dramatique. La sortie du pays de l’Union européenne va engendrer plusieurs problèmes. Par exemple, la question des visas à mettre en place pour les artistes. Pour des grandes formations de musiques actuelles ou classiques, qui partent en tournée avec parfois des centaines de collaborateurs, il faudra créer une bureaucratie énorme, ce qui implique des frais. Ce sera d’autant plus dissuasif que l’économie de la culture en Grande-Bretagne, basée très largement sur un système de financement privé, est déjà fragilisée par le Covid. Avec le Brexit, c’est la double peine. Au-delà des individus, il y aura aussi des formulaires à remplir pour les douanes concernant les instruments, le matériel.
Comment réagissent les artistes ?
Des centaines de milliers d’artistes ont signé une pétition demandant une exemption de visas de 90 jours, mais ce n’est pas passé. C’est d’autant plus surprenant quand on voit le parcours de Boris Johnson, qui était le responsable culture du Parti conservateur. Paris prend d’ailleurs exemple sur les JO de Londres, dont il était alors maire, pour imaginer ses “Olympiades culturelles”. La question culturelle lui est tout sauf étrangère, mais on voit que les exemptions ne se font pas dans ce domaine-là.
Pourtant, économiquement l’export est essentiel à l’économie de la culture. La tournée internationale de 2019 pour les orchestres anglais représente 14,5 millions de livres, dont la moitié réalisée en Europe. Il y a en Grande-Bretagne des ensembles de musique qui font 90% de leur chiffre d'affaires à l’export. On sait depuis très longtemps à quel point la musique est dans l’ADN même du pays. Le seul secteur culturel pour lequel le Brexit pourrait être une bonne nouvelle, c’est l’art contemporain : en sortant de l’UE, la Grande-Bretagne pourrait devenir une sorte de paradis fiscal, avec une fiscalité à 0 pour les œuvres d’art, comme aux Etats-Unis.
Le Brexit va-t-il modifier structurellement les tournées des artistes de la scène britannique ?
Tous les concerts en “one shot”, c’est fini. Ce qui peut encore s’envisager, ce sont des périodes plus longues, qui justifieront un investissement important, notamment dans le personnel à employer pour gérer cette nouvelle bureaucratie. La Grande-Bretagne découvre toutes ces formalités de droit. Mais surtout, ça va être gravissime pour les artistes eux-mêmes. Une étude a déjà montré qu’un musicien sur trois a envie de changer de métier en Grande Bretagne, car au pays du libéralisme triomphant, les artistes n’ont aucun filet de sécurité. Je pense que cette crise sanitaire montre la limite totale du modèle anglo-saxon de l’économie de la culture. En se basant uniquement sur la billetterie et la philanthropie, la culture anglo-saxonne s’est tirée une balle dans le pied. Désormais, le secteur culturel anglais a besoin d’un geste politique fort pour se réinventer. Il y a une attente du monde culturel. Les artistes anglais sont désespérés.
Comment cela peut-il se traduire, à terme ?
On a appris récemment que Simon Rattle, le chef de l'orchestre symphonique de Londres, va prendre la direction de l'Orchestre symphonique de la radiodiffusion bavaroise (BRSO) en 2023. Et il a déjà dit qu’il prendrait la citoyenneté allemande. On parle donc de fuite des cerveaux. Un autre indice inquiétant, c’est que des projets culturels sont à l'abandon, comme le projet de salle de concert dans le centre de Londres. On va arriver à une situation de marasme économique, d’artistes qui vont changer de métiers, et de fuite des cerveaux.
Là, nous parlons du bout de la chaîne. Qu’en est-il au début de la chaîne, c’est-à-dire pour les étudiants qui se forment au métier d’artiste ?
La particularité de la culture, c’est en effet que la formation initiale n’est pas la plus importante. Ce sont les expériences et les échanges qui font les individus dans le domaine artistique. Or ces échanges se faisaient notamment grâce à Erasmus, qui s'arrête en Grande-Bretagne à cause du Brexit. Quand on sait que 20% des étudiants du conservatoire de Paris étaient en échange avec un conservatoire anglais, on se rend compte que c’est énorme. Les étudiants français ont envie d’aller y apprendre, et inversement.
Pour les artistes européens voulant se produire en Angleterre, ce sera également plus compliqué ?
Bien sûr. C’est pourquoi, dans des...
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