La plus haute juridiction administrative examine ce lundi les recours demandant la réouverture des salles de théâtre et de cinéma. Des personnalités se sont portées intervenantes volontaires pour faire reconnaître le droit à la culture comme liberté fondamentale.
On rêverait presque de la voir projetée lundi, sur la façade du Conseil d’Etat : l’image de cette immense enseigne bleue des magasins Fnac, flottant dans la salle vide du théâtre des Amandiers de Nanterre. Légendée par son auteur, Philippe Quesne, «les théâtres peuvent rouvrir !» elle circule parmi tant d’autres sur les réseaux sociaux depuis que Jean Castex, le 10 décembre, a douché les espoirs des milieux culturels. Un photomontage, une farce noire, dystopique… Ç’aurait été l’emblème suprême pour résumer l’enjeu de l’audience qui se tiendra durant cette journée devant la plus haute juridiction administrative : déterminer si le gouvernement a créé ou non une exception culturelle inversée, une rupture d’égalité entre commerces «non essentiels» et lieux de culte, qui ont rouvert, et musées, salles de théâtre et de cinémas, maintenus fermés.
Mais l’heure n’est plus aux symboles, ou plus seulement. Il y a la beauté du geste, d’un côté, mais il y a surtout des arguments «solides», insistent les différents cabinets d’avocats, représentants d’une large fourchette d’institutions et organisations professionnelles, pour demander au Conseil d’Etat la suspension du décret du 29 octobre – celui-là même qui condamne artistes, distributeurs ou directeurs d’établissements culturels à une absence totale de visibilité sur leurs activités en dépit de l’exemplarité des protocoles sanitaires mis en place.
Les requérants contestent une décision gouvernementale qui porterait selon eux une atteinte illégale, et disproportionnée, au vu du risque de propagation du virus, à plusieurs libertés fondamentales – liberté d’entreprendre, liberté de création, liberté d’association, principe d’égalité – mais aussi à la diversité de la création française (30% des films n’étant diffusés qu’en salles de cinéma). Des violations d’autant plus caractérisées, argumentent les avocats, au vu de l’absence d’uniformité des mesures.
«Sauf à placer la liberté de croyance au-dessus de la liberté d’association»…
Depuis leur recours en référé devant le Conseil d’Etat il y a quelques semaines – une procédure d’urgence –, les lieux de culte ont en effet obtenu de pouvoir rassembler trente personnes pour leurs cérémonies, mais avec règle sanitaire révisée : un rang sur deux et deux sièges d’écart entre chaque spectateur ou groupe de spectateurs. Pour les requérants, la règle pourrait non seulement valoir pour les établissements culturels, mais elle est même particulièrement contrôlable au regard du système de réservations, de sièges numérotés, ou de l’absence de ces gestes rituels et chants des spectateurs qui ont cours dans les lieux de culte. «Prenez tous les commerces non essentiels ouverts en ce moment pour acheter des cadeaux pour Noël : ils n’ont pas de protocole aussi strict que celui du cinéma, un protocole de 30 pages, rappelle le conseil des fédérations du cinéma, Me Elie Weiss. Notre but, ce n’est pas de faire fermer les commerces mais de pointer l’incohérence de la décision.» A protocole sanitaire égal (même plus rigoureux, en pratique, concernant les salles de théâtre et de cinéma), une telle disparité de situation paraît donc difficile à justifier, «sauf à placer la liberté de croyance au-dessus de la liberté d’association, entre autres», souligne Me William Bourdon, qui représente plusieurs théâtres parisiens.
La suspension du décret est fortement conditionnée au contexte épidémique actuel. Mais quelle que soit l’issue, la procédure, elle, permettra enfin d’obtenir ce zest de transparence, tant réclamé par le secteur, sur des motivations gouvernementales soupçonnées d’être davantage guidées par des critères idéologiques et politiques que strictement sanitaires. L’avis du Conseil scientifique du 22 septembre ne parle à aucun endroit des salles de spectacle, rappelle un des référés-liberté que Libération a pu consulter. Or, c’est cette note d’alerte qui a fondé les nouvelles restrictions imposées aux salles de spectacle.
Depuis, une étude de l’institut Pasteur publiée ce jeudi est venue prouver que ces établissements ne sont pas vecteurs de l’épidémie. Roselyne Bachelot l’admettait déjà au lendemain des annonces du Premier ministre : «Les salles de spectacle ne sont pas des lieux dangereux.» Alors ? Le nouvel argument, c’est le «brassage de populations» au sortir de ces établissements. «Vous noterez qu’aucun autre lieu ouvert n’a été étudié selon de tels critères…» note Marc-Olivier Sebbag, à la Fédération nationale des cinémas français. «Pour l’instant, nous n’avons connaissance d’aucune étude qui viendrait scientifiquement prouver que les théâtres participent activement à la propagation du virus, commente Me Bourdon. Nous sommes donc impatients de les connaître, si le gouvernement en possède.»
Pour l’heure, il y a une «première grande satisfaction» pour l’avocat : la requête déposée par ses clients a été jugée recevable. Il y a aussi une certaine excitation. C’est qu’en parallèle de l’argumentaire classique porté par les institutions et organisations professionnelles requérantes, il plaidera également, au nom de citoyens affectés par le décret, le droit d’accès à la culture, consacré par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies et inscrit dans le préambule de la Constitution française de 1946. Avec l’espoir de voir s’établir une jurisprudence : «Potentiellement, ce serait la première fois que le droit d’accès à la culture serait consacré comme liberté fondamentale», précise l’associé de William Bourdon, Vincent Brengarth.
Zlotowski, Schroeder, Huston, Nouvel, Morin…
Une liste d’intervenants volontaires s’est donc constituée sur ce point autour du référé, indiquent les deux avocats, parmi lesquels...
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