L'industrie musicale n'échappe pas à la libération de la parole : recueil de témoignages, aide juridique aux victimes, de nombreuses initiatives émergent pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Mais pour les associations, des changements profonds sont nécessaires pour empêcher les abus.
Elle, June Caravel, est une artiste qui cherche à sortir un album. Lui, pianiste reconnu, accepte de contribuer à son projet en tant que directeur artistique. Rapidement, son comportement dépasse la limite du cadre professionnel : il lui caresse le dos, l’appelle “mon amour”, “ma déesse”. Au bout de quelque temps, la musicienne met les choses au clair : il ne se passera rien entre eux. Il lui répond que "sans relation amoureuse, il n’y aura pas de relation artistique". Le projet d'album tombe à l'eau.
L’histoire de June Caravel, qui a depuis porté plainte pour harcèlement sexuel, n’est pas un cas isolé. Trois ans après #MeToo, l’appel du collectif MusicToo France a permis de rassembler plus de 300 témoignages entre juillet et septembre 2020 avec la volonté "d’associer des agressions et violences entre elles, commencer à dessiner des profils [d'agresseurs] et rassembler des plaintes", explique le collectif dans son manifeste.
Selon la Guilde des artistes de la musique (GAM), qui a réalisé un sondage auprès de 500 professionnels du secteur, "une femme sur trois dit avoir été victime au moins une fois de harcèlement sexuel. 39% chez les artistes féminines". Il y a un an déjà, plus de 1 200 artistes, parmi lesquelles le duo Brigitte, Clara Luciani, Camélia Jordana ou Pomme, cosignaient une tribune où elles appelaient à un changement des mentalités concernant les violences sexistes et sexuelles.
Une ambiance festive propice aux abus
La précarité du métier, l’ambiance festive et la starification des artistes sont autant de particularités qui peuvent rendre le milieu propice aux violences sexistes et sexuelles. "On est dans un perpétuel brassage des énergies, qui passe par les fêtes. Ça peut déraper", confirme Karen Lohier alias Katel, artiste.
"Avec l’alcool et la drogue à foison autour, les rapports peuvent vite prêter à confusion", ajoute Cécile Unia, rappeuse. Adolescente, elle collabore brièvement avec un beatmaker (créateur d'instrumentations) dont "la seule ambition est de coucher" avec elle. Une prise de conscience des dangers d'un milieu qui "mélange souvent professionnel, plaisir, fun et passion".
L’artiste met vite un terme à cette situation et mène aujourd’hui ses projets librement grâce au label qu’elle a fondé, Mentalow Music. "J’ai l’impression que les femmes prennent tellement sur elles, qu’il y a des choses qu'elles ont tellement intégrées, que parfois elles ne relèvent même pas des choses inacceptables."
Une cellule d'écoute pour les victimes
Conscients des problèmes qui secouent le milieu, certains syndicats se sont emparés du sujet. Ils ont signé un plan d’action pour lutter contre ces violences. Parmi les mesures de ce plan, un outil a déjà été mis en place par la FESAC (Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma) : une cellule d’écoute destinée aux victimes de violences sexuelles dans le milieu de la culture.
Audrey Ellouk-Barda, présidente de la FESAC, a travaillé sur ce projet. "Le secteur doit regarder les choses en face", explique-t-elle. La cellule d’écoute, financée par le ministère de la Culture, offre notamment une aide psychologique et juridique aux victimes. "On ne voulait pas se limiter au recueil de la parole, mais donner des outils à la personne pour, si elle le souhaite, porter l’affaire aux tribunaux", détaille Audrey Ellouk-Barda. Au-delà de l’outil, c'est aussi un symbole : "elle permet de montrer que ce sont des choses qu’on ne tolère plus."
Du côté du Centre national de la musique (CNM), un groupe de travail a été formé pour réfléchir à la création d’une boîte à outils "pour aider les structures à lutter contre ces problèmes, leur donner des clefs pour gérer au mieux, et mettre en place des mesures internes", explique Audrey Ellouk-Barda, membre de ce groupe.
Les consciences s'éveillent
Jeune association, "Change de disque" ambitionne de son côté de "cartographier l’écosystème de la musique, avec ses lieux (labels, studios, salles de concert, régie) et ses relations professionnelles (artistes-entreprise, freelance-client…), pour repérer les asymétries fortes, où peuvent se nicher...
Lire la suite sur francetvinfo.fr