Désignée «capitale française de la culture», la ville a donné les clés de l’organisation et de la programmation du festival Réel à une soixantaine de volontaires âgés de 12 à 25 ans. Une expérimentation couronnée de succès début juin.
Pari tenu, haut la main. Le festival Réel, qui s’est tenu du 3 au 5 juin à Villeurbanne, a dû fermer son accès samedi dès 22 heures, la jauge de 20 000 personnes ayant été atteinte peu avant le passage sur scène de Roméo Elvis, suivi de PLK. La veille, Eddy de Pretto, Ascendant vierge et Ofenbach avaient lancé l’événement au parc de la Feyssine, dans le nord de la ville. Un vaste terrain de jeu pour la première édition d’un festival tout particulier, car entièrement organisé par des volontaires âgés de 12 à 25 ans. Encadrés par des professionnels du spectacle et des acteurs culturels locaux, ils ne devaient remplir qu’une condition : vivre à Villeurbanne.
Cette commune de 150 000 habitants de la métropole de Lyon a remporté en mars 2021 le nouveau label «capitale française de la culture». Décerné par le ministère de la Culture avec le soutien de la Caisse des dépôts, il bénéficie d’une enveloppe de 1 million d’euros (pour un budget global autour de 25 millions d’euros à Villeurbanne). Un million d’euros, c’est le montant dont ont disposé la centaine de jeunes qui ont créé ce festival mêlant concerts, arts de la rue, spectacle vivant, animations jeune public et village associatif. Un «objectif politique», visant à «augmenter fortement les lieux et les liens de contact entre les jeunes et une offre qui reste en décalage», a expliqué le maire socialiste de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, également vice-président à la culture de la Métropole de Lyon.
Impros et boîte à vœux
Une soixantaine de jeunes se sont inscrits dans les différents groupes de travail pour monter ce festival qu’ils ont baptisé «Réel», comme pour se convaincre qu’on leur a bien laissé les clés du camion. Hormis quelques adolescents, la plupart des participants ont entre 18 et 25 ans. Recrutés grâce à l’appel à projets public, mais aussi via les centres sociaux et la mission locale, tous disent leur «curiosité» de découvrir «l’envers du décor» : celui de la programmation. «On nous a demandé notre avis, pourquoi se priver d’une opportunité comme ça, qui se présente une fois dans la vie ?» résume Emma, 18 ans. Beaucoup ont un parcours artistique personnel ou côtoient déjà le milieu du spectacle. Mais il y a aussi des profils inattendus, comme Jérémie, 20 ans, comptable en alternance, qui voulait «rencontrer un autre univers». «Certains n’auraient jamais interagi sans ça», confirme Léa, 26 ans, animatrice d’un groupe.
De son côté, la compagnie Komplex Kapharnaüm, orfèvre de «l’art in situ», s’est invitée dans quatre établissements pour recueillir la parole «des jeunesses», soit 160 élèves d’une cité scolaire, de deux lycées et d’un collège. Dans ce dernier, celui des Gratte-Ciel Môrice-Leroux, des travaux d’écriture préalables ont été menés par les profs de français et des artistes intervenants sur des sujets de société qu’ont choisis les collégiens – la pauvreté, la pollution, la xénophobie, l’argent et le bonheur, le port d’arme… Les ados ont ensuite été conviés durant deux jours en résidence dans les locaux de Komplex Kapharnaüm, adaptés pour donner corps à ce «parlement».
Numéro auquel envoyer des textos, boîte à vœux, incitations à compléter à l’écrit, confidences orales en studio, impros au micro : une palette de dispositifs ont permis de récolter une moisson à la fois spontanée et représentative. «C’est une expérience complètement nouvelle pour eux car la parole de chacun est vraiment respectée et certains se révèlent à l’oral en découvrant ce lieu de création», constate Amandine Novarina, professeure de français à Môrice-Leroux. Cette matière foisonnante, restituée par des porte-parole désignés par les jeunes, a donné lieu en mai à deux représentations publiques, place Wilson et devant la mairie de Villeurbanne, et à un podcast réalisé par l’équipe de Making Waves.
Un monde sous-marin futuriste
«Je vais te donner la réplique pour que tu puisses te concentrer sur le ton, plus que sur la lecture», explique Pierre Amoudruz, directeur artistique de l’AADN, association culturelle férue d’arts hybrides et de cultures numériques. «Un peu timide», Insafe, 11 ans, qui veut être «mangaka» plus tard, déroule son récit : «L’eau s’est mise à monter, centimètre après centimètre, au début on a eu très peur, puis on s’est organisés, on est allés sur les toits, on a appris à respirer avec les poissons et on a retiré le seau qu’on avait sur la tête.» Durant six mois, les 25 groupes scolaires de Villeurbanne ont été investis par des centres culturels réduits, les Minimixes, associant artistes et équipes éducatives, universitaires et médiateurs d’équipements voisins.
A l’école élémentaire Anatole-France, l’AADN a imaginé un monde sous-marin futuriste pour mobiliser près de 200 élèves du CE1 au CM2 sur la question de la montée des eaux...
Lire la suite sur liberation.fr