Alors que des mesures plus restrictives pourraient succéder au couvre-feu à 21 heures et fragiliser encore le spectacle vivant, Jean Castex et Roselyne Bachelot ont reçu les professionnels et annoncé de nouvelles aides d'urgence. Le Centre national de la musique en sera délégataire pour le secteur, mais comment le classique, lésé en septembre par rapport à la variété, en bénéficiera-t-il ?
C'était un oral de rattrapage, après avoir assommé le spectacle vivant une semaine plus tôt à coup de couvre-feu de 21 heures. Jeudi 22 octobre, le Premier ministre, Jean Castex, a reçu à Matignon les représentants des syndicats du spectacle vivant, en amont de sa conférence de presse annonçant en soirée le durcissement des mesures sanitaires. A ses côtés, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, affichant ainsi une solidarité renouvelée après les différences de vue qui les avaient opposés concernant l'heure de retour au domicile des bons citoyens. Mais aussi Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), opérateur de l'Etat pour l'ensemble de la discipline, dont le rôle se renforce à chaque étape de la crise.
« La teneur de la réunion était en tous points conforme aux annonces du soir, c'en est même surprenant », sourit Loïc Lachenal, président des Forces Musicales (syndicat des employeurs théâtres lyriques et orchestres). « La parole du Premier ministre est très directe, sans fioritures, et il a su nous convaincre que même quand ses arbitrages nous sont défavorables, il a bien conscience de nos difficultés et de la nécessité de nous accompagner pour passer ce cap. C'est loin d'être le cas dans tous les pays, et nous pouvons légitiment saluer cette prise en considération. Que les sommes allouées pour ce faire soient suffisantes, honnêtement, plus personne n'en sait rien. Le plan de relance est caduc du seul fait de la reprise de l'épidémie, il faudra intégralement le remettre sur la table plus tard. La priorité est de maintenir les artistes et les structures en vie tant que durera la crise, enveloppe après enveloppe. Et de calibrer les dispositifs de façon équitable, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. »
Mauvais tour de bonneteau contre le classique
Le chèque en blanc de 81 millions d'euros signé par l'Etat à l'Opéra de Paris, avant même les conclusions de la mission chargée de proposer des réformes de gestion, a laissé un goût amer. Mais l'exclusion du classique, à la mi-septembre, des dispositifs de compensation des pertes de billetterie pour les producteurs et les salles contraints de réduire leur jauge, passe plus mal encore. Les professionnels n'ont toujours pas accepté le tour de bonneteau par lequel le ministère de la Culture et le CNM ont réservé aux musiques actuelles, certes soumises à une taxe spécifique, des aides nouvelles qui n'avaient rien à voir avec le produit de cet impôt. D'autant que les théâtres lyriques et salles de concert ont quasiment tous repris leur activité dès septembre (sauf l'Opéra de Paris, d'ailleurs), et cela dans des conditions très incertaines. Alors qu'à l'inverse, très peu de lieux de musiques actuelles, handicapés par leurs trop grande capacité d'accueil et l'habitude de recevoir un public debout et moins discipliné face aux gestes barrières, ont rouvert le rideau, faisant peser le risque que la centaine de millions d'euros allouée jusqu'au 31 décembre ne soit pas consommée.
On peut donc s'attendre à un assouplissement des critères aujourd'hui très restrictifs des aides minimales d'urgence imaginées à la hâte pour éteindre la colère des producteurs privés du classique. Mais Roselyne Bachelot a surtout pris soin, lors de son intervention aux côtés de Jean Castex, de préciser que la nouvelle enveloppe de 55 millions d'euros attribuée au CNM afin de faire face aux déficits induits, notamment, par le couvre-feu, concernerait cette fois le secteur public au même titre que le privé.
Extrême disparité de situations
Mais sur quelle base, et de qui parle-t-on ? Des Opéras en régie municipale dont le personnel est assimilé à la fonction publique, et dont les taux de subvention peuvent approcher 80% ? Des établissements publics soutenus par plusieurs collectivités, et dont les recettes propres sont généralement (mais pas toujours) plus élevées, parfois jusqu'à la moitié du budget, comme à la Philharmonie de Paris ? Ou des ensembles musicaux indépendants et festivals, de statut souvent associatif, qui dépassent rarement 20% de subventions ? Ces subventions ayant été maintenues, mais tous n'ayant pas eu accès au chômage partiel, le secteur musical classique se retrouve à l'automne dans une extrême disparité de situations : certains établissements au bord de la banqueroute, d'autres ayant bénéficié d'un tel cumul d'aides au moment où ils réduisaient leurs dépenses qu'ils s'acheminent vers des excédents historiques, dont ils savent que leurs tutelles ne manqueront pas de leur faire grief dans les années à venir.
Du côté du CNM, on se refuse encore à tout commentaire officiel sur les dispositifs en cours d'élaboration ; tout en rappelant que les représentants du secteur musical classique dans toute sa diversité siègent au sein des commissions qui planchent sur le sujet. La conférence de presse prévue le 3 novembre, à l'occasion de la fusion du CNM avec des entités plus petites comme le Bureau export ou le Fonds pour la création musicale (ou leur absorption, disent en coulisses les intéressés) devrait être l'occasion de découvrir aussi quelques-unes de ces nouvelles aides.
Instant de vérité pour le Centre national de la musique
« Pour le CNM, c'est l'instant de vérité », souligne Nicolas Bûcher, président du Profedim (syndicat des employeurs des ensembles musicaux, festivals, centres de création et compagnies lyriques). « Nous avons tous été agréablement surpris, au fil du printemps et de l'été, par les qualités d'ouverture de cette nouvelle équipe, sa vision, son sens du dialogue. Nos craintes initiales commençaient à se dissiper - voir le ministère se débarrasser du secteur musical et renoncer à toute politique publique pour ne conserver qu'une sorte de service automatique des subventions aux plus gros établissements. Mais l'incapacité du CNM à nous répondre de façon massive et efficace ces deux derniers mois interroge, d'autant que Madame Bachelot fait le choix, qui n'avait rien d'évident, de lui confier aussi la gestion des aides destinées aux Opéras et orchestres, tandis que le ministère suivra en direct toutes celles qui iront au théâtre public, par exemple. Nous serons d'autant plus vigilants que l'ensemble de la musique classique brille par son exemplarité à s'adapter à des consignes sans arrêt évolutives. A l'annonce du couvre-feu, le découragement était tel que...
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