Dans un livret très attendu sur la mutation verte du secteur, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles dénonce la saturation de l’offre de spectacles et explique l’urgence à produire moins et mieux.
Les repas carnés, le parc lumineux qui tarde à passer aux LED, les décors non-recyclés… tout cela augmente bien sûr le bilan carbone du spectacle vivant. «Mais nos adhérents [un demi-millier, ndlr] n’ont pas besoin de nous pour trier leurs déchets.» En revanche, les professionnels du secteur ont sans doute besoin du Syndeac, Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles, pour engager à grande échelle, et en concertation avec les pouvoirs publics, un vrai «changement de paradigme», ainsi que le syndicat l’énonce dans son livret présenté lundi, sur «la mutation écologique du spectacle vivant». Des trois chantiers à l’ordre du jour, qui comptent aussi la mobilité des spectateurs et le numérique, le second est le plus difficile, et le plus passionnant. Portant sur un tabou que les professionnels du spectacle vivant public, il y a encore quelques années, ne mentionnaient qu’en chuchotant entre leurs dents après avoir vérifié n’être pas sur écoute : la «surproduction». Eclair bruyant tonnant au milieu des cieux, le voici donc pointé noir sur blanc comme principal problème de la filière, à l’heure d’un cumul des crises sans précédent (Covid, puis inflation, désengagement des collectivités, stagnation des subventions, hausse des prix de l’énergie).
«Faut-il encore se réjouir du trop grand nombre de spectacles créés chaque année en France ?» La saturation de l’offre est-elle encore le signe du dynamisme de l’exception culturelle française ou est-elle la preuve de l’épuisement du modèle hérité des années Malraux et Lang ? A l’heure où différentes structures culturelles sont contraintes à la fermeture partielle et à l’amputation de leur programmation (après la Filature de Mulhouse, l’Opéra de Lyon), faut-il s’entêter dans l’impasse ou en profiter pour refondre entièrement le modèle de production et de diffusion, générateur d’un extraordinaire «gâchis» dont le coût est aujourd’hui social, esthétique, mais aussi écologique ?
Des pièces mort-nées
Le constat en lui-même n’est pas nouveau, et le caractère «irrationnel» et «déraisonnable» du système actuel a été maintes fois pointé du doigt l’année de la pandémie. Quelques mois avant, en 2019, son absurdité était illustrée par les chiffres déprimants de l’étude sur la diffusion de la danse commandée par le ministère de la Culture : elle indiquait que sur les 700 spectacles de danse créés par an, 24% ne jouent qu’une fois, 2,3% seulement dépassent les cinq ans de durée de vie et que le nombre moyen de représentations s’élève à 5,2 fois. Souvent en «mono-date» : ce soir à Nice, et le lendemain, en avion, à Bordeaux (on vous laisse déduire l’impact en termes de transport de décors et d’équipe, de montage et démontage, etc.).
Le plus navrant, note le syndicat, est que cette politique des pièces mort-nées, cette obsolescence éclair des créations, est programmée dans tous les cahiers des charges. Celui des artistes, puisque l’octroie d’une subvention est chaque année conditionné à une nouvelle création. Celui des structures culturelles, qui sont évaluées par les collectivités territoriales et l’Etat, non pas sur un axe de développement, de recherche, de présence artistique auprès des habitants, mais uniquement sur leur capacité à présenter tant de spectacles par saison.
Pourtant, et c’est l’horizon désirable que dégage cette mutation verte, «une équipe artistique existe aussi en dehors de ses spectacles. Sa présence sur un territoire, qui s’incarne par des temps de résidences et des temps d’action culturelle, doit être valorisée». Certains acteurs le font isolément depuis longtemps, et Libé n’a cessé de dire le bien qu’il pensait, entre autres, de la Maison des métallos à Paris, qui laisse chaque mois carte blanche à une équipe artistique excellente (Ivana Müller, Grand Magasin) pour inventer des formes diverses ancrées dans le quartier (des spectacles mais pas nécessairement), pendant le mois entier.
Mesures incitatives
Mais c’est à plus grande échelle, désormais, que doivent être pris les engagements, affirme le Syndeac, qui en prend onze, par écrit. Certains plus faciles à tenir que d’autres : généraliser le train pour les voyages inférieurs à cinq heures demande de réfléchir aux conditions de rémunération des temps de transport, certes. Mais ce n’est pas grand-chose au regard des douze travaux d’Hercule que constitue la fin des «clauses d’exclusivité territoriale» encore généralement demandées aux artistes par certains lieux de diffusion, qui espèrent ainsi capter la presse et les professionnels chez eux le soir de la représentation… Et empêchent la création de tournées plus...
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