Après sept ans d’atermoiements, l’ambitieux projet artistique a été enterré par le gouvernement. Un «fiasco» pour l’opposition et une décision «regrettable» pour les directeurs des trois institutions concernées, qui cherchent déjà des solutions de substitution.
C’est un vaste édifice industriel, aux murs de meulière percés de hautes fenêtres et aux façades constellées de sculptures. Réalisés par Charles Garnier, les ateliers Berthier, sortis de terre en 1898 dans le XVIIe arrondissement de Paris, devaient servir d’écrin à un projet artistique et culturel ambitieux, la Cité du théâtre, imaginé en 2016 sous le quinquennat de François Hollande. Mais sept ans et cinq ministres de la Culture plus tard, Rima Abdul-Malak a acté son abandon pur et simple.
«Il a fallu faire des choix», argue la ministre de la Culture, qui invoque une sous-estimation des coûts du projet, avec une «hausse de 45 %» du financement nécessaire pour rénover et aménager l’établissement qui devait réunir la Comédie-Française, le théâtre de l’Odéon, et le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Et si, malgré la déception, les institutions mises devant le fait accompli semblent prêtes à changer leur fusil d’épaule, le maire Les Républicains (LR) du XVIIème arrondissement de Paris, Geoffroy Boulard, fulmine et dénonce un «fiasco» et un «gâchis budgétaire» sans précédent.
«Arrêter l’hémorragie»
Tout commence à l’automne 2016. Portée par François Hollande et Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture, la Cité du théâtre devait abriter dans la zone Clichy-Batignolles, en pleine mutation due aux travaux du Grand Paris, des espaces consacrés aux trois institutions théâtrales : les nouveaux locaux du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, plus qu’à l’étroit dans les murs historiques du IXe arrondissement, les salles de spectacles et de répétition de l’Odéon – auquel les ateliers Berthier servent de succursale depuis 2003 – et enfin deux salles destinées à la présentation du répertoire contemporain de la Comédie-Française. L’espace nécessaire à cette grande ambition, 22 000 mètres carrés, exigeait le transfert à l’Opéra-Bastille des ateliers de l’Opéra national de Paris, jusque-là situés à Berthier, et la construction, pour ce faire, d’une salle dédiée à Bastille.
En 2016 déjà, le projet est évalué à près de 150 millions d’euros hors taxes : 59 millions d’euros pour le projet Bastille et 86 millions d’euros pour le projet Berthier. Une «équation économique devenue intenable, justifie Caroline Yadan, députée de la majorité présidentielle, élue dans la 3e circonscription de Paris, dont dépend une partie du XVIIe arrondissement. La dernière étude effectuée en 2022 a révélé que les coûts de mise aux normes du site étaient bien plus importants que prévu. Il y avait une hausse de 45 % du financement nécessaire. Si on voulait rentrer dans l’enveloppe, soit il nous fallait supprimer la salle de spectacle de 250 places de la Comédie-Française, soit on réduisait de moitié la taille des salles de répétition. Et dans tous les cas, en amputant le projet, on le dénaturerait, et on ne répondait plus aux besoins des institutions.» Des besoins «pressants», souligne la députée, qui rappelle que la date d’ouverture de la Cité du théâtre, initialement prévue à l’automne 2025, avait été reportée à 2032, après maints atermoiements. «Le ministère a dû faire un choix : ça a été celui d’arrêter l’hémorragie, en abandonnant un projet magnifique, mais qui ne pouvait avoir lieu.»
«Résultat brutal»
«Il aura fallu sept années et de lourds frais de fonctionnement pour finalement abandonner un projet qui se promettait d’assurer le rayonnement du théâtre français à l’échelle nationale et internationale», s’exaspère de son côté le maire du XVIIe arrondissement, Geoffroy Boulard. Pour l’élu LR, «il y a eu plusieurs études, un concours architectural, la création d’un groupe d’intérêt public réunissant les trois établissements. Tout ça pour rien». «On a perdu beaucoup de temps et d’argent public pour rien, sinon ce résultat brutal. D’autant que rien ne laissait présager un tel scénario», déplore la sénatrice LR de Paris Catherine Dumas.
A l’automne 2022, la sénatrice interrogeait déjà la ministre de la Culture sur l’avenir de la Cité du théâtre, qui lui répondait alors plancher sur une version susceptible de répondre à l’épure budgétaire qui lui était allouée. «Espérons que l’année 2023 marquera la concrétisation de ce beau projet culturel pour Paris !» se réjouissait alors Catherine Dumas, qui se dit aujourd’hui «à la fois très déçue et très en colère».
«Deux ans que le projet était à l’arrêt»
«Cet abandon est regrettable, souffle lui aussi le directeur du théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig. Réunir trois institutions sur ce site, je trouvais ça beau et important.» Pour autant, le metteur en scène ne tombe pas complètement de sa chaise : «On ne peut...
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