Aïcha Euzet a écrit Se plier, toute tremblante de crainte, après l’attentat terroriste qui a décapité l’enseignant Samuel Paty, le 16 octobre 2020. La jeune femme a voulu décrire la peur qui s’est répandue dans la société, jusqu’à tétaniser les corps. Dans sa pièce, une jeune femme musulmane n’arrive plus à se déplier pour faire sa prière. Paralysée, debout devant son tapis, elle a le visage tourné vers la fenêtre de sa voisine d’en face, qui semble l’espionner, cachée derrière son rideau. Aïcha Euzet n’ose même plus prier, envahie par le reproche invisible et sournois de cette voisine accusatrice. « J’ai peur qu’elle ait peur de moi », dit-elle. A un moment, dans la nuit, son reflet dans la fenêtre nous fait penser que la voisine pourrait être elle-même. Comme si la peur avait totalement envahi son intimité, telle une fumée noire dans son introspection.
Ce sentiment de peur traverse beaucoup des textes présentés au festival Les Contemporaines, qui se déroule jusqu’au 14 mai, au Théâtre national populaire, à Villeurbanne. La manifestation, consacrée aux auteurs dramatiques contemporains, réunit deux organisations. Les Journées de Lyon des auteurs de théâtre (JLAT) ont sélectionné et édité cinq lauréats, sur quatre cents candidatures. Et le festival En acte(s) a commandé des pièces à quatorze auteurs contemporains, de sept pays différents. Le texte doit « faire écho à l’actualité », avec un maximum de cinq comédiens, sans dépasser une heure. Il est ensuite « mis en plateau », sur des tréteaux de bois. Le festival se charge de rapprocher auteur et metteur en scène. « Aucune thématique n’est imposée. C’est une façon d’interroger la nécessité de l’écriture aujourd’hui, de susciter des rencontres »justifie Maxime Mansion, directeur artistique. Il en résulte un foisonnement de créations, pleines d’effervescence et d’énergie.
Dénoncer les excès
« Oser regarder ce monde, l’affronter », dit par exemple Clermesine, dans Aimer en stéréo. Ce personnage aux « souvenirs tachés de sang » convoque des figures d’Haïti, dans un manifeste poétique contre la violence et la corruption. « J’ai vraiment peur, je vis dans un pays compliqué, mais c’est fatigant d’être militant. Je ne sais plus contre qui je me bats », confie Gaëlle Bien-Aimé. L’autrice est aussi activiste, féministe, humoriste. Directement confrontée à la violence, elle choisit de tenir la peur à distance dans son texte, comme s’il fallait conquérir un espace pacifié, par l’écriture. Son personnage écoute les mauvaises nouvelles à la radio, et rêve de « dormir sur un nuage paresseux ».
Réseaux sociaux, réalité virtuelle, abus sexuels, désastre écologique… les textes brassent l’actualité avec la même volonté d’en dénoncer les excès, sous des formes multiples. Dans A cheval sur le dos des oiseaux, Céline Delbecq déploie le monologue d’une femme séparée de son enfant, dont la poésie surpasse les codes de la société qui a fabriqué sa relégation. Dans Maintenant ou jamais, le Béninois Cédric Mabudu invente une fée qui agite une clochette, pour figer les personnages et remonter le temps, jusqu’à ses propres origines. Beaucoup d’auteurs déclinent un même personnage en plusieurs voix, pour tenter de desserrer l’étreinte de l’oppression sociale. Parfois, la tentative échoue, submergée par le discours qu’elle dénonce. Mais le combat de l’écriture face au monde n’est jamais vain, toujours courageux.
Haïla Hessou, 26 ans, a réuni le capitaine Achab, Pinocchio et Jonas dans Un ventre bleu. Dans sa pièce...