Trois économistes appellent à rééquilibrer les soutiens publics sur l’ensemble des territoires, à déployer une stratégie dans le numérique et à renforcer le service public de la culture.
Rendue publique, mercredi 16 février, une note du Conseil d’analyse économique (CAE) décortique la façon dont la crise due au Covid-19 a fragilisé le monde de la culture, et comment l’arrivée du numérique le métamorphose. Ses auteurs – Olivier Alexandre, chargé de recherche au CNRS, Yann Algan, professeur d’économie à HEC, et Françoise Benhamou, professeure à Sorbonne Paris Nord et coprésidente du Cercle des économistes – suggèrent trois grandes orientations pour réformer les politiques culturelles. Ils proposent un plan de relance qui permette de rééquilibrer les soutiens publics sur l’ensemble du territoire et appellent au déploiement d’une véritable stratégie numérique ainsi qu’à « un renforcement du service public de la culture ».
Ils partent d’un premier constat, réjouissant, selon lequel « la crise a mis en lumière le fort attachement des Français aux pratiques et aux lieux culturels ». Dans un focus intitulé « Culture, bien-être et territoires », également publié mercredi, trois de leurs confrères membres du CAE – Jean Beuve, Madeleine Péron et César Poux – ont, eux aussi, démontré que les lieux de culture participaient au dynamisme des territoires et « [contribuaient] positivement au bien-être des individus ». Déclarer avoir « au moins une pratique culturelle est associé à une satisfaction déclarée équivalente à une hausse du revenu disponible du ménage de 1 % (420 euros par an) », affirment-ils. Ce taux monte même à 1,65 % pour les pratiques culturelles régulières.
M. Alexandre, M. Algan et Mme Benhamou ont examiné l’impact de la pandémie sur la culture, qui, en 2019, représentait 49,2 milliards d’euros, soit 2,3 % de l’ensemble de l’économie. Avec l’aérospatial et le tourisme, elle a été le secteur le plus durement touché. La baisse du chiffre d’affaires en 2020 a atteint 16 %, avec des disparités énormes entre le cinéma et le spectacle vivant, les plus affectés (entre – 65 % et – 43 %), et l’édition ou le jeu vidéo, qui n’ont pas souffert, bien au contraire (+ 3 % à + 21 %).
« Changement de paradigme »
Dans sa note, le CAE souligne « l’efficacité » des dispositifs d’aide – « sans comparaison en Europe » –, qui ont permis de sauvegarder l’emploi et de minimiser les cessations d’activité, mais déplore, à l’instar de la Cour des comptes, « une faible lisibilité des dispositifs de soutien ». Il relève toutefois que les « très petites entreprises du secteur culturel ont davantage été affectées que celles du reste de l’économie ».
La crise a également accéléré « un changement de paradigme », passant d’une logique de rareté, typique des années 1950, à une logique d’abondance. Le développement du numérique s’est traduit par une baisse des coûts de production et de diffusion, et une intensification de la concurrence.
Les trois économistes énoncent une série de mesures concrètes pour réformer en profondeur le secteur une fois la crise achevée. Parmi celles-ci figure un plan « territoire de la culture » afin de « rééquilibrer les soutiens publics à la culture sur le territoire français dans le cadre du plan de relance », tout en « accompagnant la sortie du prêt garanti par l’Etat pour les entreprises les plus fragiles » et en « poursuivant le soutien aux associations culturelles ».
Création d’une autorité de médiation
Là encore, le focus « Culture, bien-être et territoires » apporte un éclairage utile. Il évoque l’existence d’un lien direct entre l’importance du budget alloué par les communes aux dépenses culturelles de fonctionnement (114 euros en moyenne par habitant et par an) et la participation aux élections municipales. Celles qui y ont consacré en moyenne 100 euros de plus que les autres ont obtenu un taux d’abstention inférieur d’un point (0,9 %) aux élections municipales de 2020.
Esquissant également les contours d’une stratégie numérique pour la culture, Olivier Alexandre, Yann Algan et Françoise Benhamou recommandent d’allouer une partie du plan de relance consacré à la filière (un milliard d’euros sont prévus sur cinq ans) au financement de formations et à une modernisation des équipements des administrations culturelles. Cette stratégie devrait permettre « l’interopérabilité des données et la mutualisation des services culturels innovants » ou encore « la mise en œuvre d’un incubateur unique rassemblant les projets à dimension culturelle ». Sans compter la création d’une autorité de médiation, destinée notamment à assurer « la mise en conformité des contrats avec le droit français ». Un moyen de lutter contre les pratiques de plus en plus répandues, notamment par Netflix, d’imposer le copyright en lieu et place du droit d’auteur français.
Pour réduire les inégalités d’accès à la culture, en particulier chez les jeunes, le trio d’économistes prône le fait de consolider le service public de la culture. Cela passerait par...
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