Comme il l’a annoncé ce matin à son conseil d’administration, et comme il l’avait écrit voilà trois semaines à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, le metteur en scène et scénographe Stéphane Braunschweig, 59 ans, n’a pas souhaité être reconduit le 15 janvier 2024 à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, qu’il dirige depuis 2016. Ne lui ayant donné aucune nouvelle sur son avenir depuis des mois, alors que pointait la fin de son mandat – un signe ? – Rima Abdul Malak n’a pas insisté pour retenir celui qui fut le premier directeur du Centre dramatique national d’Orléans (1993-1998), ex-directeur du Théâtre national de Strasbourg (2000-2008) et du Théâtre national de la Colline (2010-2016). Trente ans au service du théâtre public, dont trois théâtres nationaux, méritaient mieux que ce silence. Mais le ministère est hélas coutumier de ces atermoiements à la tête de nos institutions culturelles, du Château de Versailles au Parc de la Villette. Parce que le président de la République les retarde abusivement pour y mettre le nez sans faire confiance aux choix de sa ministre ? Signalons, entre autres, que Wajdi Mouawad n’est toujours pas officiellement renommé (ou non) à la tête du Théâtre national de la Colline et assure son propre intérim depuis le… 28 mai 2023.
Que signifie réellement la brusque défection de Stéphane Braunschweig, alors que sa programmation 2023-2024 est passionnante et audacieuse, les salles remplies à 83 % de public payant, sa dernière mise en scène – Andromaque –, une réussite, et qu’en février 2023, toujours désireux de poursuivre l’aventure de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, il faisait encore le tour des conseillers culture du Président, du Premier ministre et des services de Rima Abdul Malak pour annoncer ses intentions Et s’il y avait désormais quelque chose de pourri au royaume du théâtre public, où les cinq institutions nationales – dont Chaillot, La Colline, le TNS de Strasbourg, la Comédie-Française – seraient toutes aujourd’hui en déficit ?
Une politique du théâtre public dépassée
Stéphane Braunschweig a pris sa décision en découvrant que l’Odéon-Théâtre de l’Europe n’avait plus la moindre marge artistique, la saison prochaine, pour produire des spectacles, alors que celle-ci était encore de 1,5 million en 2017, et de 3 millions lorsque son prédécesseur, Olivier Py, avait pris le poste en 2007. Autrement dit : la subvention de l’État (12 930 000 euros) ne couvre aujourd’hui que le fonctionnement du théâtre. Or dès 2022, l’augmentation de la masse salariale annuelle cadrée par le ministère (sans que des subventions supplémentaires soient accordées pour la réaliser), l’inflation généralisée, l’augmentation des coûts liés à l’électricité, la sécurité, provoquèrent à l’Odéon un déficit de 2 millions, puis de 1,8 million en 2023. Mais grâce aux aides de l’Etat reçues pendant le covid, le théâtre a pu aussi constituer des réserves lui permettant de les résorber et de poursuivre sa programmation ambitieuse. Une nouvelle génération de femmes metteuses en scène y a fait ses preuves – à l’Odéon, elles sont désormais à l’affiche à parité avec leurs confrères –, des coproductions à l’international ont permis de remplir la mission européenne attachée au nom même du lieu, et de jeunes créateurs en devenir ont été découverts. Autant d’objectifs irréalisables la saison prochaine, l’État exigeant de réduire drastiquement le déficit et condamnant Stéphane Braunschweig à déplacer au printemps 2025 une création prévue à l’automne 2024. Comme d’annuler, vraisemblablement, son propre spectacle – La Mouette, de Tchekhov – prévu à la rentrée.
À quoi bon diriger un théâtre national qui ne pourra plus remplir ses missions essentielles ? Redistribuer ses moyens financiers pour soutenir ses artistes associés, mieux irriguer le vivier des compagnies émergentes intéressantes et des créateurs européens. Sans compter que cet établissement-là n’est pas facile à gérer, véritable fer de lance des luttes syndicales du spectacle vivant quand ce n’est pas de la France entière. Vingt-deux jours de grève en 2022, dix-sept en 2023, avec autant d’annulations de représentations.
L’heure n’est plus aux mesurettes
La décision de Stéphane Braunschweig est un signal. Elle devrait inciter le ministère à...
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