Les Français ont perdu l'habitude des sorties culturelles et l'absence de têtes d'affiche internationales contribue à ce manque d'appétit. L'Etat a heureusement maintenu ses soutiens, limitant la casse.
Fin août, le patron de Live Nation France organisait un colloque au Pavillon des Etangs, dans le Bois de Boulogne, au titre explicite : « Back to business ». Dans ce cadre idyllique choisi pour apporter à l'événement une touche estivale, avec ses canapés en osier et ses distributeurs de pop-corn, Angelo Gopee avait une idée très sérieuse en tête : remobiliser les patrons du spectacle vivant musical.
Live Nation France a également monté un Salon pour les prestataires (sécurité, restauration, loueurs de salle ou de matériel, etc.) avec l'objectif de leur redonner des perspectives. « Nous avons tous été victimes du manque d'activité et devons tous être solidaires », pointe Angelo Goppe.
Avant les négociations budgétaires de septembre, il fallait aussi réactiver les capacités de lobbying de la filière pour obtenir la prolongation des soutiens étatiques . Car l'heure est grave. « Nos entreprises souffrent définitivement d'un Covid long », résume Olivier Darbois, président du Prodiss, le syndicat du spectacle musical et de variété. Les ventes de billets sur juillet-août ont affiché un recul par rapport à 2019 de 75 % pour les festivals, 56 % pour les concerts, 50 % pour les théâtres et plus de 80 % pour les cabarets dont les fleurons parisiens peinent à rouvrir faute de clientèle. Après un été atone, la billetterie ne décolle toujours pas.
Baisse de 61 % ce semestre
L'étude menée par EY auprès de 124 adhérents du Prodiss, corroborée par les données de Ticketmaster France, conclut à une baisse prévisible de chiffre d'affaires de 61 % au second semestre, à 373 millions d'euros contre 955 millions sur la même période de 2019. Pour l'ensemble du spectacle vivant musical et de variété, la diminution s'élèverait à 783 millions d'euros.
« On ne vend pas, il n'y a pas de reprise des concerts. Le passe sanitaire est une nécessité mais il faut du temps dans notre métier pour l'apprivoiser et notre chiffre d'affaires est toujours en retrait de 80 % par rapport à la normale », déplore Aurélien Binder, directeur de Fimalac Entertainment et vice-président du Prodiss. « Ça bouge un petit peu mais vraiment à la marge. On doit être à 30 % de ce qu'on devrait faire. C'est très lent », renchérit Pierre-Alexandre Vertadier, président de Décibels Productions (Warner).
Les gros encore plus touchés
Fimalac Entertainment, Décibels, tout comme Gérard Drouot Productions, Olympia Prod (Vivendi), Lagardère Live Entertainment et Live Nation France figurent aux rangs des poids lourds - tous pesant plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel avant la pandémie. Ce sont les plus touchés du secteur.
Leur activité devrait connaître un recul de 67 % ce semestre par rapport à la même période de 2019, selon EY, contre 42 % pour les petites entreprises pesant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires avant le Covid. Cela s'explique par la chute attendue de 81 % de la billetterie sur le créneau des artistes internationaux, de 78 % sur celui des concerts debout (toujours limités à 75 % des capacités), de 67 % sur les spectacles de grandes jauges. Soit les créneaux majeurs de ces gros opérateurs.
Pour Olivier Darbois, également directeur général de la société de production Corida, le manque d'enthousiasme du public tient d'ailleurs aussi aux affiches proposées, moins originales et variées qu'à l'ordinaire, du fait de l'absence de tournées internationales. Actionnaire de We Love Green aux côtés de We Love Art et Sony Music, il l'a lui-même constaté pour ce festival planifié du 10 au 12 septembre au Bois de Vincennes et finalement annulé.
Risque impalpable
« Le risque est inhérent au métier de producteur mais là, il devient incontrôlable. On ne sait plus d'où le coup va venir, tous les clignotants sont au rouge. Insoluble. En pleine promotion de notre festival, nous ne savions même pas si tel artiste serait encore à l'affiche », soupire sa directrice, Marie Sabot, alertée dès juillet sur la fragilité des tournées : un seul cas contact dans une équipe artistique mettait tous les membres en péril. Avec les restrictions sanitaires, différentes selon les pays, c'est comme un château de cartes qui s'effondrait. Et le variant Delta a achevé de doucher le public même si la manifestation était prête à n'accepter que 20.000 personnes dans un lieu conçu pour le double.
Après des mois de gestion de crise, pas question pour Marie Sabot de risquer les 6 millions d'euros de budget du festival. Elle a sauvé ce qui pouvait l'être, basculant une petite partie de la programmation sur des événements partenaires (Climax à Bordeaux, Africa2020 et Nyege Nyege au Bois de Vincennes, la Fondation Luma Arles, ou Wonderland, un tiers-lieu sur une emprise SNCF que We Love Green anime). Elle a maintenu en revanche le festival électro Peacock Society, quatre fois moins cher à produire, avec des artistes seuls aux platines, sur des scènes disséminées dans le parc de Choisy-Val-de-Marne.
Manque de locomotives
Pour François Thominet, directeur général de Ticketmaster France qui écoule 10 millions de billets par an, « notre situation sanitaire ne permet pas une relance comme aux Etats-Unis où juin a été le quatrième meilleur mois de leur histoire, ou comme au Royaume-Uni où le retour des gros artistes dope la billetterie. Il faut que les têtes d'affiche internationales reviennent. Après les attentats du Bataclan, Céline Dion avait joué la locomotive », rappelle-t-il.
Et celle-ci ne sera à Paris qu'en septembre 2022… Les producteurs doivent tenir dans l'intervalle car ils ne perçoivent leur chiffre d'affaires que lorsque le spectacle a lieu, et non quand les places sont achetées, les sociétés de billetterie se contentant de leur verser des acomptes afin de protéger les consommateurs en cas d'annulation. « Beaucoup jouent leur survie, tous ont des dettes Covid, des pertes non épongées, des frais fixes incompressibles. Les aides de l'Etat seront déterminantes », souligne François Thominet.
Redonner l'envie
Certains acteurs, diversifiés dans des secteurs moins sinistrés, n'hésitent pas à casser leur tirelire pour relancer la machine, comme Jacky Lorenzetti (Ovalto Investissement) qui exploite la Paris La Défense Arena. L'enceinte de 40.000 places a rouvert le 3 septembre en partenariat avec le NRJ Music Tour. Mais les billets n'ont pas été vendus, ils ont été distribués, notamment à des entreprises invitées. « Je me suis battue pour que cet événement ait lieu car le public a perdu l'habitude d'aller au spectacle », précise sa vice-présidente Bathilde Lorenzetti, qui après de multiples reports devrait enfin accueillir l'an prochain 30 concerts dont ceux de Green Day, Sexion d'Assaut et la fameuse Céline Dion… Et comme la taille de l'Arena fait désormais peur aux artistes français, Bathilde Lorenzetti va tester la possibilité de scinder la salle pour organiser deux événements simultanément…
Compliqué pour le théâtre
Du côté des théâtres privés, les situations sont compliquées aussi, malgré un passe sanitaire bien accepté par un public très vacciné. « Certains appréhendent sereinement leur réouverture, avec des taux de remplissage supérieurs à 50 %, notamment ceux dont la programmation est bien identifiée, avec des spectacles phares. En revanche, pour d'autres, la billetterie est très faible », précise Anne-Claire Gourbier, déléguée générale de l'ASTP, l'Association pour le soutien du théâtre privé.
Et les modes de consommation ont durablement changé, compliquant la donne. « Les spectateurs réservent leur place au dernier moment, voire achètent leur ticket directement au guichet le jour J », ajoute-t-elle.
Pertes d'argent
Si les salles restées ouvertes cet été ne s'en sont pas mal sorties, c'est qu'elles étaient trois fois moins nombreuses qu'à l'été 2019. « Nous avons enregistré une moyenne de 350 spectateurs par représentation pour une salle de 500 places, malgré le passe sanitaire et l'absence de touristes » précise Mélanie Biessy, propriétaire de la Scala Paris, qui avait programmé « Une histoire d'amour » de l'auteur à succès Alexis Michalik.
De son côté, Jean-Marc Dumontet a enregistré cet été « des chiffres pas déshonorants, avec de jeunes artistes sans notoriété » dans son Petit Point Virgule de 100 places, tandis qu'il remplissait à 50 % son...
Lire la suite sur lesechos.fr