ENQUÊTE - Après des débuts chaotiques, ce mouvement qui mêle cinéma, arts, spectacle vivant et technologie s’impose désormais partout. Le public plébiscite ces propositions proches du divertissement et résolument inventives.
Paris, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Dans le noir, un rugissement retentit suivi d’un cri d’oiseau affolé. Les pieds dans une mare éclairée par la lune, le visiteur devine que proies et prédateurs de la savane l’entourent. Tel Alice dans le pays des merveilles, il file sous terre. Même avec le masque, des effluves d’humus et de truffe chatouillent les narines. Sous les eaux arctiques, à la rencontre des cachalots, une odeur ambrée prend le relais… «Cette promenade à travers huit écosystèmes est une expérience d’un nouveau type, une première mondiale», se félicite Bruno David, président du MNHN, en évoquant «L’Odyssée sensorielle», la nouvelle attraction du lieu. Il espère que les milliers de visiteurs attendus auront davantage d’empathie pour le monde vivant, aussi beau que fragile. «Pour cette immersion qui mêle l’odeur, la vue et le son, deux cents scientifiques, scénographes, ingénieurs du son et chimistes ont travaillé ensemble pendant six ans», souligne le producteur Gwenaël Allan.
À l’instar de cette exposition-spectacle, une large variété de contenus immersifs a brusquement fait son apparition, à mi-chemin entre culture et divertissement, ils mêlent cinéma, théâtre, danse, musique et écologie avec la technologie. À la Cité de l’architecture à Paris, crapahuter dans la grotte de Lascaux en réalité virtuelle (VR) est une expérience mémorable. Chacun a sa lampe frontale et découvre à son rythme les gravures et peintures vieilles de 20.000 ans. Au château de Vincennes (Val-de-Marne), un remarquable Helsingor-Château d’Hamlet, mis en scène par Léonard Matton, se joue jusque dans le donjon. Le public déambule où il veut. Les timides regardent de loin, les courageux s’adressent aux acteurs. Dans le Marais, la galerie Perrotin et le studio Atlas V proposent des productions à la croisée de l’art et des technologies immersives où selon son goût, on s’envole dans l’espace ou dans le New York punk des seventies. Au Musée de l’homme, on chasse le mammouth avec Lady Sapiens. «Ce qu’il se passe cet automne est comparable aux premières séances de cinéma chez les forains en 1896, on est aux tout débuts de l’immersif», prédit Didier Fusillier, président de la Grande Halle de la Villette.
Ratages
Comme avec l’explosion des escape games il y a quelques années, aucune ville n’y échappe. À Bordeaux, Cap Science invite les familles à un safari à 360°. À Lyon, l’atelier de création sonore Nuits Noires spécialisé dans le son spatialisé fait un malheur avec son podcast «Ferme les yeux et regarde» -le visiteur doit deviner dans quelle œuvre d’art il est immergé. «Nous travaillons entre autres avec le Centre Pompidou et le Musée du quai Branly», explique sa présidente associée, Élodie Parmentier qui milite pour «désacraliser l’art».
On est loin des débuts chaotiques où le merveilleux a côtoyé le pire. Côté succès, il y a l’Atelier des Lumières et le succès en 2018 du collectif nippon Teamlab à la Villette. Soit 350.000 visiteurs succombant à un plongeon dans une nature entièrement digitale. «Cela a été un choc émotionnel exactement comme quand on enfile un casque de VR pour la première fois», se souvient Didier Fusillier. Il y a eu aussi les ratages comme le «concert» de Maria Callas en hologramme, le show Hit-Parade avec les avatars de Claude François et de Dalida. Le pire a été atteint avec le gigantesque fiasco Dau au Théâtre du Châtelet. Sur le papier, cette immersion dans l’URSS des années 1950 devait être l’expérience la plus underground et excitante de 2019. Elle s’est transformée en naufrage dès le premier soir, laissant des centaines de visiteurs furieux.
Grandeur nature
C’est à l’étranger que ces expériences immersives ont été rodées et applaudies. À New York, l’expérience Sleep No More de la compagnie Punchdrunk fait un tabac. Le public masqué se promène dans des lieux immenses et des décors soignés pendant que les acteurs jouent à côté et interagissent avec lui. Même idée dans les soirées de Secret Cinema à Londres où le visiteur déambule dans l’univers d’un film culte reconstitué grandeur nature. Créées début 2000, ces deux sociétés sont devenues incontournables et leur imagination n’a plus de limites. Les billets pour leurs prochaines créations à Londres s’arrachent. TheBurnt City de Punchdrunk propose de s’immerger dans la chute de la ville de Troie. Secret Cinema organise le bal de Bridgerton inspiré de la série de Netflix. C’est encore à Londres que le groupe de pop suédois Abba a décidé de tester son nouveau projet de concert révolutionnaire. Dans une salle bourrée de technologie construite spécialement, les fans pourront dès mai 2022 chanter Gimme! Gimme !Gimme ! sans les artistes Björn, Benny, AnniFrid et Agnetha mais avec leurs avatars sur scène.
En France, on n’en est pas encore là «mais pendant la pandémie, tout un écosystème d’auteurs et de producteurs s’est développé, ce qui explique l’explosion actuelle», explique Charlotte-Amélie Veaux qui a fait le tour du monde des expériences immersives pour un blog, UXmmersive, avant de cocréer la société Onyo. Les institutions culturelles ouvrent grand leurs portes aux créateurs. «L’immersif permet de fidéliser le public et d’attirer des nouveaux profils», explique Agnès Parent, directrice adjointe du public à la MNHN. «C’est un aimant à jeune public, résume Léonard Matton. 50 % du public qui vient voir notre Hamlet a moins de 30 ans. Un tiers n’a jamais mis les pieds au théâtre. Non seulement ils reviennent mais entre-temps, certains ont lu Shakespeare.» Et puis l’appétit du public est là. À ce jour, Hamlet s’est joué 120 fois devant 15.000 personnes. Pris d’assaut par 3500 fans à Chaillot, le Bal de Paris de la chorégraphe Blanca Li reprend au Palace. Même succès avec «Revivre» à la Grande Galerie de l’Évolution où depuis juin, 20.000 visiteurs ont vu s’avancer vers eux des espèces disparues comme le dodo.
Cinéma immersif
Cet engouement encourage les entrepreneurs. À la tête de la start-up Dream Factory, Tristan Desplechin organisera début 2022 à Paris, les premières séances de cinéma immersif en France. Pendant trois mois, chaque soir, une centaine de participants habillés à la mode des années 1990 pourront se promener, danser, jouer et dîner dans l’univers de Terminator 2. Pilote du projet Polaris, le cinéaste Nicolas Bary (Les Enfants de Timpelbach) va transformer l’aquarium du Trocadéro en station sous-marine du futur. «Muni de casques et de tablettes de réalité augmentée, il faudra choisir son camp, explique-t-il. Faire partie des colons qui remontent à la surface pour replanter la nature détruite par l’homme ou s’immerger encore plus et créer une espèce humaine presque amphibienne.» Avec la musique de Laurent Perez oscarisé pour La Tortue rouge et les effets spéciaux du groupe Mac Guff, le concept sera décliné en bande dessinée et en série. «Nous cherchons 600.000 euros auprès de marques de produits high-tech ou liées à la mer. Si le financement est bouclé vers Noël, les premiers “survivants” seront accueillis au Trocadéro en juin 2022», explique le producteur Arnaud Rouvillois. D’autres comme Yann Garreau et Charlotte-Amélie Veaux à la tête du projet Onyo misent sur ...
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