Les grands concerts estivaliers sont en expansion. Un exploit dans le secteur de la culture. Derrière cet engouement, des risques subsistent qui pourraient menacer les plus fragiles d’entre eux, relève dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Des centaines de milliers de jeunes vont se retrouver bientôt sur le pré et sous un soleil de plomb pour communier avec leur groupe de rock préféré, après deux ans de pandémie et de disette. « En avant comme avant » est le slogan des festivals musicaux. L’heure est à l’optimisme, à remonter le son. Sans vouloir casser l’ambiance ni jouer les rabat-joie, évoquons quelques nuages noirs qui planent sur leur été.
Le nombre déjà. Les festivals installés depuis belle lurette sont au rendez-vous. Il n’y a pas eu de casse pendant la pandémie grâce au « quoi qu’il en coûte » et à ses aides publiques, et aux mécènes aussi. La surprise est ailleurs : des dizaines de festivals nouveaux lancent leur première édition cet été. Ils sont portés par le privé, des villes ou des départements.
Le plus tonitruant est Inversion Fest’, les vendredi 17 et samedi 18 juin, à Lyon, avec notamment Stromae, PNL, Orelsan, The Black Eyed Peas. D’autres, bien plus nombreux, sont de format moyen, par exemple en juillet Concerts sous les étoiles, porté par la ville de Toulouse. Nul ne sait combien seront ces nouveaux venus, mais on comptabiliserait plus de 2 000, cet été, dans les musiques populaires.
Un exploit
C’est le seul secteur de la culture en expansion et c’est un exploit. Tout le monde s’y retrouve. Le format est efficace, stimulant, visible, populaire. La filière musicale parie sur une soif inédite de fiestas pour remplir les caisses. Le public s’y rend en groupe pour échanger autant qu’écouter. Des entreprises affluent pour faire des affaires. Les politiques y trouvent leur compte en animant la cité, certains rêvant encore du triomphe de Jack Lang avec sa Fête de la musique, qui va souffler, le 21 juin, ses 40 bougies – il est le premier ministre de la culture à avoir combiné à grande échelle événements festifs et offre pérenne.
On peut se demander si ce n’est pas trop, tant la concurrence est rude entre festivals. « C’est devenu un marché financier où les gens sont en train de se bouffer », regrettait, dans Sud Ouest, le 25 mai, le responsable du festival L’Eté à Pau. D’autant qu’il faut faire avec des concerts monstres dans des stades – leur quantité est en hausse cette année –, par exemple les Rolling Stones, le 19 juillet, à Lyon, et le 23, à l’Hippodrome de Longchamp, à Paris.
En toute logique, la compétition est rude pour capter tel artiste ou tel musicien, notamment francophone, davantage présents cette année – la pandémie n’y est pas pour rien. Il y a bien plus de femmes à l’affiche aussi. Les festivals sont dans une telle demande que les cachets enflent, la diète à la suite de la crise sanitaire a donné de l’appétit aux créateurs. Rien de nouveau pour les stars américaines, payées jusqu’à 1 million d’euros le concert mais surtout – c’est inédit – tous les musiciens profitent de cette spirale financière. Le Prodiss, organisme qui réunit la filière musicale privée, évalue la hausse des cachets à 30 % ou 50 % (Télérama du 11 juin).
Le public va-t-il répondre à l’appel ?
Les tickets s’en trouvent souvent plus chers, parfois non… car il ne faut pas perdre le public en route. Va-t-il répondre à cet appel festivalier ? C’est toute la question. Les organisateurs reconnaissent que la situation est tendue. Le Printemps de Bourges a affiché 30 % de fréquentation en moins en avril. Les Vieilles Charrues, qui fêtent leur 30e édition du 14 au 17 juillet, à Carhaix (Finistère), avec Stromae, Orelsan, Clara Luciani ou Angèle, seraient, selon son directeur Jérôme Tréhorel, « un des rares festivals à afficher complet depuis l’ouverture de la billetterie ».
L’enjeu est lourd car l’équilibre économique des gros festivals non subventionnés est lié à une jauge très élevée, autour de 90 % à 95 % de remplissage. Certains disent 100 % pour cette année en raison de l’inflation en général, des matériels et des salaires en particulier.
Les festivals qui ont une certaine ancienneté, un public fidèle, des armées de bénévoles, une ligne éditoriale claire portée par des têtes d’affiche, s’en sortiront. C’est le cas du Hellfest, près de Nantes, qui attend 420 000 fans de musique metal, du 17 au 19 juin et le week-end suivant, multipliant par deux son offre par rapport à 2019, avec Metallica ou Guns N’Roses en haut du programme et 350 groupes derrière. Même chose aux Eurockéennes de Belfort, qui proposent, du 30 juin au 3 juillet, Nick Cave, Muse, Stromae, Simple Minds, Foals, Clara Luciani, Feu ! Chatterton…
Garder leur âme
En revanche, beaucoup de festivals de taille moyenne ou petite, notamment s’ils sont récents et sans argent public pour les soutenir, pourraient sortir de l’été très fragilisés, voire pour certains disparaître. C’est du moins le triste pronostic de nombreux spécialistes du secteur.
Les patrons de festivals sont gagnés par une autre inquiétude : garder leur âme. Le public festivalier est réputé distinct de celui qui fréquente les musées, théâtres et même les salles de concert. Il est moins spécialiste, plus volatil, plus jeune, plus populaire. Ce serait moins vrai en 2022. 30 % de public perdu à Bourges, c’est au sens large le pourcentage qui manque à l’appel depuis des mois dans les lieux culturels classiques...
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