Transition numérique, répartition des aides, distanciation physique… La ministre de la culture dévoile ses pistes de travail dans le cadre du plan de relance de 2 milliards d’euros pour le secteur.
Dans un entretien au Monde, Roselyne Bachelot explique comment elle compte utiliser les 2 milliards d’euros prévus dans le plan de relance du gouvernement pour sauver un secteur culturel sinistré par la crise du Covid-19 et préparer l’avenir. « La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus », estime la ministre.
Le gouvernement va consacrer 2 % de son plan de relance, soit 2 milliards d’euros, à la culture. Est-ce à la hauteur du désastre que connaît le secteur ?
D’abord, ce plan de relance est un plan global, avec des mesures structurantes sur l’emploi, la formation, l’écologie. Tout cela va bénéficier aussi à la culture. Il y a beaucoup plus de 2 milliards qui lui sont consacrés dans ce plan ! La rénovation des bâtiments publics, la rénovation énergétique, la mobilité du quotidien, le renforcement des fonds propres des TPE [très petites entreprises], le soutien aux collectivités territoriales, tout cela va participer à la relance de la culture.
Ce plan a-t-il vocation à remplacer le plan d’urgence, annoncé en mai par Emmanuel Macron ?
Les mesures d’urgence, de plus de 5 milliards d’euros, ne sont pas fondues dans le plan de relance. Le chômage partiel va notamment continuer, avec un dispositif amélioré pour le secteur culturel. C’est nécessaire, la culture est le deuxième secteur le plus sinistré après celui des transports. Mais je passe aujourd’hui à la deuxième phase de mon action.
Comment avez-vous décidé la répartition des fonds alloués par le plan de relance ?
J’ai voulu prendre en compte de façon équilibrée l’ensemble des grands secteurs de la culture et me placer dans une vision dynamique, pour préparer l’avenir. C’est pour ça qu’une part importante sera consacrée à la modernisation des filières. Je me refuse à opposer culture patrimoniale et culture numérique. La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus. Je pense par exemple aux théâtres, qui sont désertés par les jeunes.
Concrètement, comment faire ?
Il faut accélérer la transition numérique, pour avoir des nouvelles offres culturelles. Permettre des visites immersives des expositions. Accéder aux œuvres de manière différente – en passant, cela permettra de diminuer la pression du public sur certains trésors culturels. Diffuser en direct des spectacles vivants, concerts ou pièces de théâtre. Numériser les catalogues, les fonds d’archives. Il y a des chantiers considérables à mener dans le numérique. L’idée n’est pas de supplanter l’offre patrimoniale mais de diminuer la pression sur celle-ci ou de la faire découvrir. Parfois, on n’ose pas aller à l’opéra, pensant que c’est trop cher, alors que c’est moins cher qu’un concert de rap ou de rock. Mais on peut le découvrir en direct sur sa tablette ou sur sa télé, et avoir envie d’y aller. C’est cela que je veux faire.
Comment les aides entre le secteur public et le secteur privé vont-elles s’articuler ?
Sur les attributions fines, je ne peux pas répondre aujourd’hui. On y travaille actuellement avec les professionnels. Mais il n’y en a pas que pour le subventionné. Le plan de relance pour la création artistique comporte 220 millions d’euros pour le spectacle vivant privé, secteur qui a le plus souffert. Ce chiffre s’ajoute aux 100 millions de soutien qui viendront compenser une partie des pertes d’exploitation des salles de spectacle et de cinéma, quand la rentabilité, du fait des mesures sanitaires imposées, n’est pas atteinte.
Les responsables du théâtre privé estiment que cela ne leur permettra de tenir que jusqu’à la fin de l’année. N’y a-t-il pas un effort particulier à faire ?
Il est assez difficile de savoir si le public va revenir dans les salles, si nous sommes dans une situation transitoire ou pas. Nous verrons bien. Pour l’instant, en incitant à la reprise de l’activité, ça marche. Je ne joue pas les Cassandre, mais si la crise sanitaire s’amplifiait et qu’on était obligé de recourir à des mesures plus contraignantes, on remettrait les choses sur l’établi. Pour l’heure, on a un plan calibré. Quoi qu’il en soit, l’Etat n’abandonnera personne.
La reprise de l’épidémie de Covid-19 ne risque-t-elle pas d’enfoncer encore plus le secteur ?
La situation sanitaire ne s’améliore pas. Le seuil d’alerte est atteint dans dix-neuf départements. Il va nous falloir rester extrêmement vigilants et ne pas desserrer la démarche de sécurité…
La distanciation physique sera maintenue dans les salles de spectacle et de cinéma des départements en zone rouge ?
La doctrine ne peut pas changer pour l’instant. Il n’est pas question de relâcher nos efforts. J’ai obtenu qu’il n’y ait plus de jauge dans les salles des départements verts, ce qui est déjà une demi-victoire ! Par ailleurs, dans les salles parisiennes, la jauge peut atteindre environ 70 %, avec les groupes et les familles qui peuvent rester ensemble. Pour un certain nombre de spectacles, cela couvre la fréquentation habituelle. Pour le port du masque, l’habitude se prend et je rappelle qu’il est autorisé de consommer des confiseries dans les salles de cinéma, ce qui est un élément de rentabilité. On peut ôter son masque pour manger son pop-corn !
Mais comment faire revenir les spectateurs dans les salles ?
Il ne suffit pas d’aider le spectacle, il faut aussi inciter les spectateurs à y retourner. Toutes les normes de sécurité sont élaborées avec les professionnels, qui connaissent le terrain. On ne va pas demander au Théâtre de Poche-Montparnasse d’appliquer les mêmes règles que la Philharmonie. On tient compte des situations particulières. Le public comprend qu’on veille à sa sécurité. Je remarque par ailleurs qu’il y a une vraie appétence pour les spectacles en cette rentrée, notamment au cinéma.
Mais on observe aussi que le public âgé ne revient pas…
C’est pour cela qu’on a imposé le port du masque pendant les séances, c’est un élément de sécurité pour les seniors. C’était indispensable. Mais il y a aussi un problème de fond. Aujourd’hui, la moyenne d’âge d’un spectateur au cinéma est de 58 ans. En dix ans, la part des jeunes y a baissé de 11 % ! La question est comment les faire revenir.
Quid des auteurs dans le plan de relance ?
Il y a un dispositif ciblé pour eux. Mais ce n’est pas un solde de tout compte. La situation des artistes auteurs est l’un des sujets sur lesquels je veux aboutir en 2021. C’est l’une de mes toutes premières priorités.
Vous êtes, dites-vous, « ministre des artistes et des territoires ». Est-ce que ce plan de relance va être l’occasion de rééquilibrer l’accès à la culture entre Paris et les régions ?
Ce rééquilibrage fait partie des objectifs, notamment sur la question du patrimoine. Il y aura un effort massif en faveur des monuments historiques, principalement en région. Par exemple, 80 millions d’euros sont destinés au « plan cathédrales » (hors Notre-Dame), ça ne s’est jamais vu. Des cathédrales comme celles de Chartres (restauration des vitraux du transept), de Dijon (mise en valeur de la rotonde et de la sacristie), de Soissons (restauration du portail et d’une chapelle), de Saint-Denis, etc. seront concernées.
Et en dehors du patrimoine ?
Les états généraux des festivals, que je tiendrai dans la première semaine d’octobre, seront l’occasion de réfléchir à la manière dont ces festivals irriguent le territoire. Comment vont-ils affronter la donne sanitaire, les enjeux écologiques, financiers, la question des intermittents et des bénévoles ? Et puis, quand on abonde le budget des collectivités territoriales, on peut envisager que...
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