Le comédien, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, estime que les artistes ont un rôle à jouer, notamment auprès des jeunes, en cette période de crise sanitaire.
Comédien et metteur en scène, Robin Renucci est, depuis 2011, directeur du centre dramatique national (CDN) itinérant Les Tréteaux de France et, depuis 2017, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, qui regroupe les trente-huit CDN qui maillent le territoire. Il est également membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle.
Le secteur du spectacle vivant a obtenu que, contrairement au premier confinement, la création artistique puisse continuer grâce au maintien des répétitions de spectacles à huis clos et à des enregistrements d’œuvres sans public. Comment s’est faite la négociation ?
Cela fait suite à nos échanges collectifs entre les CDN et avec notre syndicat, le Syndeac. Nous voulions que soient tirés les enseignements de la première période de confinement pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est-à-dire la fermeture complète des établissements, des artistes et acteurs de la vie culturelle cantonnés derrière des ordinateurs et à des interventions par Zoom. Il n’a pas été nécessaire de mener une lutte acharnée pour l’obtenir car c’est du bon sens. Nos lieux doivent pouvoir rester vivants et habités par les équipes artistiques. Mais ce sur quoi nous continuons à être très incisifs, c’est de nous voir rangés, par le gouvernement, dans la catégorie des « commerces non essentiels ». Là, ça ne passe pas.
Le service public de la culture n’est pas en état d’accomplir sa mission de continuité comme d’autres services publics tels que l’école ou La Poste. Or, dans cette période, plus que jamais, nous devons mener notre mission de service public, notamment vis-à-vis des jeunes. Il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture. Il faut faire entendre que le service public de la culture – les CDN et les scènes labellisées par l’Etat –, payé par l’impôt de nos concitoyens, doit être davantage valorisé. Ce sont des lieux d’intérêt général.
Mais l’objectif actuel, pour lutter contre la transmission du virus, est de diminuer les interactions sociales et les déplacements. Cela semble incompatible avec l’ouverture des théâtres…
Nous ne cherchons pas à contourner les règles, la question sanitaire est première. On a toujours observé scrupuleusement les gestes barrières dans l’accueil du public. Mais il existe une autre question sanitaire qui n’est pas que biologique : c’est celle, problématique, du confinement mental. Il faut être davantage attentif à la destruction du champ symbolique que cela représente, pour deux raisons : le repli derrière ses volets et le repli sur des outils, des programmes déstructurants où on est dans la pulsionnalité. Quand je dis cela, je pense à la jeunesse. Dans le contexte actuel dominé par le numérique et les écrans, il serait salutaire d’offrir aux jeunes la confrontation sensible avec des œuvres qui les encouragent à développer leur esprit critique et leur discernement, à se forger des outils pour penser et pour se construire : à s’émanciper.
C’est pour cela que vous demandez également que l’éducation artistique et culturelle soit poursuivie et amplifiée au sein des établissements scolaires pendant cette crise ?
Puisque l’école, les collèges et lycées restent ouverts, poursuivons, en profondeur, les actions d’éducation artistique et culturelle pour éviter de se retrouver uniquement en situation de Covid et de Vigipirate. Nous alertons pour que cette période ne ferme pas les portes des établissements. Il faut que les artistes maintiennent leur présence au plus près d’une jeunesse durement frappée par la crise actuelle.
En cette période de laïcité, on a manqué l’occasion de mettre l’art, les acteurs et les auteurs dans les classes lundi matin 2 novembre lors de l’hommage au professeur d’histoire assassiné, Samuel Paty. On aurait pu le préparer. La conjonction entre artistes, éducation et art – le théâtre en particulier, car ses capacités pédagogiques n’ont jamais été aussi nécessaires – reste encore à affirmer dans notre pays. Il est temps de faire davantage appel aux artistes, aux auteurs pour qu’ils interviennent dans les établissements scolaires et participent à la construction collective du champ symbolique, aiguisent les sensibilités, suscitent le désir d’être élevé. L’art est une nourriture de première nécessité indispensable à l’individu. Il doit retrouver le chemin de l’école afin qu’on ne fasse pas, dès l’enfance, des citoyens qui se disent « l’art ce n’est pas pour moi ».
Et puis il faut réfléchir sur le Pass culture, réaffecter le budget de ce projet à d’autres missions car il ne sert ni l’éducation ni la pratique artistique.
Ces dernières semaines, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a perdu l’arbitrage sur l’assouplissement du couvre-feu pour les salles de spectacle et de cinéma. Le mot « culture » n’a pas été prononcé par Emmanuel Macron lors de son allocution annonçant un deuxième confinement et les librairies restent fermées. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?
Tout cela fait entendre et comprendre le peu d’intérêt que notre exécutif a pour l’art et la culture partagée par tous, avec tous. Roselyne Bachelot a fait ce qu’elle a pu. Elle nous suit. La question, c’est Emmanuel Macron. Le libéralisme et la pensée du court-termisme ne peuvent pas être liés à la temporalité de l’éducation artistique et culturelle d’un enfant tout au long de sa scolarité, à l’élévation permanente tout au long de la vie. Le capitalisme et le libéralisme ne cherchent pas à ce que les gens aient de l’esprit critique et du discernement.
Dans un confinement « idéal », que souhaiteriez-vous ?
Que le rôle des CDN soit davantage reconnu. Que des élèves puissent se rendre en petits groupes à des répétitions dans les lieux culturels proches de leurs établissements, que des intervenants du monde de la culture puissent continuer à entrer dans les classes. Il faut reparler des fondamentaux...
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