Cinéma, théâtre, musique, librairies… Grands oubliés du discours de Macron, les professionnels de la culture replongent dans l’incertitude pour cette saison 2 du confinement.
Faire en sorte que «le secteur ne s’effondre pas totalement». C’était il y a une semaine, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, l’air grave, égrenait des mesures de soutien financier afin de corriger les effets économiques du couvre-feu sur le spectacle vivant et le cinéma, largement pénalisés par la perte des revenus des séances et représentations du soir. L’épidémie court plus vite, désormais, que la mise en place des politiques qui visent à en contrecarrer les effets dévastateurs.
L’annonce d’un reconfinement d’au moins un mois par Macron, mercredi soir, replonge l’intégralité de la profession dans un black-out prolongé et accentue encore l’impression d’une perte de tout repère en dépit des efforts consentis. L’absence de toute mention, dans le discours présidentiel, n’a pas été très bien vécue par ailleurs, compte tenu du sentiment justifié d’être au premier rang des industries touchées par les restrictions sanitaires. «Nous venions à peine de discuter du plan couvre-feu avec le Centre national du cinéma (CNC) lundi matin, et le voilà déjà périmé, constate fatalement Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l’Union des producteurs de cinéma (UPC). Tout le monde navigue à vue.»
«Rien n’est clair»
La semaine dernière déjà, la détresse était perceptible après les mois de fermeture du premier confinement et un redémarrage contraint avec jauges réduites, port du masque, réduction de l’offre faute de pouvoir faire venir des artistes internationaux : «On commence à comprendre que les festivals de l’été 2021 sont déjà fragilisés, expliquait Olivier Poubelle, tourneur et producteur de spectacles (à la tête de la société Astérios et des salles parisiennes des Bouffes du Nord, de la Maroquinerie et de l’Athénée). Alors je me lève le matin en me demandant ce que je vais bien pouvoir raconter aux artistes, aux responsables de salle, aux équipes techniques. Que devient notre histoire ? Notre projet ? On perd pied…»
De nombreuses voix expriment l’incompréhension et la détresse que le volontarisme de Bachelot, plus présente et mieux entendue à l’Elysée que ne l’était Franck Riester, ne suffit pas à apaiser. Les trésoreries diminuent à vue d’œil et tout effort de programmation, mise en production, anticipation pour les mois à venir, semble systématiquement réduit à néant.
Le distributeur Eric Lagesse, patron de Pyramide et coprésident du syndicat des Distributeurs indépendants réunis européens (Dire), en témoigne au sortir d’une réunion d’urgence : «On est un peu au fond du trou. Autant pour ceux qui ont sorti des films mercredi que pour ceux qui devaient en sortir mercredi prochain et dont les frais marketing sont déjà engagés. Des mois de travail pour nous, distributeurs, sont ruinés le temps d’une annonce. Et pour les producteurs et réalisateurs, vous imaginez que ce sont des années de travail, Nicolas Maury et son premier long métrage retiré de l’affiche après deux jours d’exploitation ! Que va-t-il se passer avec les mesures compensatoires originellement mises en place pour le couvre-feu [en partie indexées sur les entrées réalisées, ndlr], et grâce auxquelles on arrivait à sortir du marasme ? Elles existent, le budget est débloqué, mais maintenant, comment on s’en sert ? C’est la vraie question. Rien n’est clair.»
Le coup est d’autant plus rude que les distributeurs ont été fortement incités à sortir les films pour soutenir toute la chaîne professionnelle et ne pas affaiblir le réseau des salles. Et la nouvelle d’autant plus cruelle que les exploitants de cinéma, notamment, commençaient à sortir, enfin, la tête de l’eau. Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), accuse le coup : «C’est aussi douloureux que l’annonce du premier confinement. Une immense tristesse. D’autant plus qu’on était en train de gagner la bataille de la reconquête du public, sans un seul cluster dans une salle de cinéma. Nous sommes tristes, dégoûtés, mais nous ne sommes pas au-dessus des lois, il y a une forme de résignation.»
«Dans la merde»
En effet, malgré la suppression des séances en soirée en raison du couvre-feu dans 54 départements, les fréquentations réalisées dans la semaine écoulée étaient les meilleures depuis la réouverture du 22 juin : 3,2 millions d’entrées, dopées notamment par Adieu les cons d’Albert Dupontel (meilleur démarrage de sa carrière), Trente Jours max et, les vacances scolaires aidant, les films d’animation jeune public (les Trolls 2, Petit Vampire…). «Cette refermeture, c’est le pire de ce qui pouvait arriver au cinéma, déplore la déléguée générale de la Société des réalisateurs de films (SRF), Rosalie Brun. On pourra mettre tout l’argent que l’on voudra pour compenser la perte d’activité, cela permet de tenir un petit peu mais ne peut pas pallier la perte immatérielle. Que les salles perdent peu à peu leur place dans la vie des spectateurs, c’est dommageable pour tout ce pour quoi l’on se bat.»
Le moral est dans les chaussettes aussi du côté des représentants du spectacle vivant. Nicolas Dubourg, du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), joint par téléphone, évoque un désespoir profond : «Toute la journée j’ai des remontées négatives. Des directeurs me disent : "On a fait une réunion de service, tout le monde pleurait. Je ne compte plus les burn-out." Il devient compliqué de continuer à sans cesse s’adapter, à la reprise, au couvre-feu, au reconfinement. Nous sommes au moment où la tour Kapla s’effondre et on n’a plus le courage de la remonter. Nous avons demandé que les artistes soient traités comme des travailleurs sans possibilité de télétravail et qu’ils puissent profiter des plateaux pendant la période pour préparer les spectacles au moment de la réouverture.»
Il a été acté de fait que, contrairement à la situation de fermeture complète du premier confinement, cette fois les théâtres pourront continuer à accueillir les artistes en répétitions. Les tournages sont eux aussi autorisés en intérieur et extérieur, sous réserve de pouvoir se maintenir dans le respect du protocole sanitaire.
La scène musicale, elle, est en PLS depuis des mois. Les salles à grande jauge n’ont jamais pu rouvrir leurs portes, ni les concerts debout en intérieur reprendre, et les tourneurs internationaux ne se risquent plus à envisager de dates, même pour 2021. «On va tous se retrouver exsangues, à attendre des aides, sur le trottoir la main tendue, affirme le producteur et manager Alain Lahana, qui travaille notamment avec des poids lourds tels Patti Smith, Iggy Pop ou Tryo. Gros comme petits, tout le monde est dans la merde, les gros car cela veut dire aussi de grosses structures à financer, les petits car ils n’ont pas forcément la trésorerie nécessaire. Sans parler des intermittents…»
Certains festivals musicaux, parmi les plus prospectifs et aptes à trouver des configurations inventives, se retrouvent aujourd’hui le bec dans l’eau. C’est le cas des Transmusicales de Rennes, qui avaient réussi à maintenir à bout de bras leur 42e édition début décembre avec des concerts pop à la mode Covid (public masqué, assis, physiquement distancié). Peine perdue. Même branle-bas de combat pour le festival «d’exploration musicale» BBmix, qui devait se tenir du 20 au 22 novembre et ajustait encore ces jours-ci les horaires de ses divers concerts dans le cadre du couvre-feu.
«Combativité»
Au Théâtre national de Strasbourg, qui abrite par ailleurs une école supérieure d’art dramatique, le directeur et metteur en scène Stanislas Nordey, qui était l’un des invités de la visioconférence de Macron en mai lors de son show freestyle tout en injonctions à «enfourcher le tigre», affiche un fatalisme pragmatique : «Faut reconnaître qu’on n’a pas la main sur la situation, l’épidémie nous dicte le calendrier, le public le sait et il reviendra quand les choses se calmeront. Pour nous, l’essentiel, c’est de protéger les artistes, les compagnies. On s’est engagé à ne rompre aucun des contrats signés, quitte à caser plusieurs spectacles qui n’ont pas encore pu avoir lieu dans une programmation future. On continue de travailler, on a déjà deux spectacles prêts, on les met au congélo. Côté ministère, pour les théâtres nationaux subventionnés, on nous a assuré que la compensation serait au niveau de nos pertes… C’est une chance, mais évidemment que pour d’autres structures, il va y avoir des dégâts.» A la tête du festival Montpellier Danse, Jean-Paul Montanari reconnaît aussi que...
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