PRÉSIDENTIELLE — Fausses infos, complotisme, médias orientés… Les menaces planent sur le débat citoyen. Un audiovisuel public fort semble essentiel à l’heure où Emmanuel Macron annonce vouloir supprimer la redevance et où les candidats d’extrême droite appellent à sa privatisation.
Marine Le Pen et Éric Zemmour en rêvent, Emmanuel Macron le fait. S’il est réélu en avril, le président de la République a annoncé lundi 7 mars lors de son premier déplacement de campagne à Poissy (Yvelines), dans une sorte de remake des « grands débats » de 2019, qu’il supprimera la redevance télé (138 euros). Sans parler de privatisation, il ne précise pas non plus le nouveau mode de financement de l’audiovisuel public, aujourd’hui adossé à la taxe d’habitation (dont la suppression est programmée pour 2023). L’intégrer au budget de l’État, qui chaque année aurait le pouvoir de fixer à sa guise le montant des ressources de France Télévisions et Radio France, serait considéré comme une attaque en règle contre l’indépendance de ces derniers. Pour remplir ses missions du mieux possible, l’audiovisuel public requiert une ressource pérenne, dynamique et… affectée.
L’extrême droite veut aller plus loin. « Si je suis élu, je privatiserai immédiatement le service public », a déclaré à plusieurs reprises Éric Zemmour. Le 9 septembre 2021, déjà, Marine Le Pen y était allée de sa saillie en faveur d’une privatisation dans les colonnes du Figaro. « C’est immédiatement 2,8 milliards d’euros de redevance que nous rendons aux Français. Nous sommes une grande démocratie, a-t-on encore besoin d’un audiovisuel public de cette taille ? » s’interrogeait la leadeuse du Rassemblement national. Même Valérie Pécresse (Les Républicains), a priori plus modérée que les deux candidats de l’extrême droite, a lâché le 23 septembre (sur France 2 !) que la question n’était « pas un tabou ». Alors pourquoi tant de haine ? Et, surtout, quelles seraient les conséquences d’une telle décision politique pour France Télévisions et Radio France, et au final tous les citoyens ?
Deux « ennemies » sont plus particulièrement ciblées : France Inter et France 2. « Le service public ne crachera plus sur le contribuable tous les jours au petit déjeuner, il ne giflera plus le réel tous les soirs à 20 heures. […] Si je suis élu, les journalistes du service public souffriront ! » a ainsi promis Éric Zemmour le 10 janvier en guise de « vœux à la presse », qui est restée médusée. Des propos qui s’inscrivent en droite ligne de ceux d’un Donald Trump face aux médias américains pendant la campagne de 2016 et toute sa mandature. Mais qui ont aussi des airs de règlement de comptes. Il y a bien sûr eu la « polémique », après des propos maladroits d’un journaliste de la chaîne Franceinfo, qui aurait voulu qu’Éric Zemmour soit interdit d’antenne sur France Télévisions. En réalité, il n’y avait aucune raison pour que le « polémiste » d’extrême droite, condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine, soit présent sur ses plateaux tant qu’il n’était pas candidat — il sera d’ailleurs invité sur France 2 début décembre à la suite de son annonce. Plateaux qu’il a squattés pendant des années quand il était chroniqueur chez Laurent Ruquier. Et qui lui ont servi à augmenter substantiellement ses revenus et, accessoirement, de rampe de lancement à sa future carrière politique. Outre son ancienne maison, Éric Zemmour en veut également à son ancien métier : le journalisme. Toujours lors de ce fameux 10 janvier, celui qui est titulaire d’une carte de presse depuis plus de trente ans (il exerçait jusque récemment au Figaro et à CNews) a ironisé devant ses confrères : « Je parlais, j’écrivais le français alors que votre langue maternelle, c’était le politiquement correct. […] Vous êtes toujours les hommes et les femmes les plus mal aimés de France. Alors que moi on m’acclame ! » s’est-il rengorgé. Taper sans discernement sur les journalistes et les médias, ça marche toujours…
La fin de l’investigation à la télé et à la radio
De son côté, Marine Le Pen ne conserverait qu’un audiovisuel pour l’outre-mer et « la voix de la France dans le monde », en l’occurrence France 24. « Cette privatisation d’un audiovisuel public, dont il est de toute façon de plus en plus difficile de distinguer la spécificité, permettra de consolider le secteur privé qui subit la concurrence de plateformes aux moyens considérables », assène-t-elle, toujours au Figaro. Évidemment, l’hostilité des deux candidats d’extrême droite envers le service public n’a rien à voir avec les enquêtes journalistiques qui ont pu leur être consacrées ou le traitement qui leur est réservé par certains humoristes, au hasard, à France Inter. Une légère contradiction pour des personnalités qui se disent viscéralement attachées à la liberté d’expression, dont elles (ou leurs partis) abusent d’ailleurs souvent.
Plus d’audiovisuel public, ce serait ainsi la fin de l’investigation à la télé et à la radio — belle lurette que les chaînes privées ont laissé tomber, à l’image de Canal+ depuis l’arrivée de Vincent Bolloré. En ces temps de prolifération de la désinformation et d’émergence des médias d’opinion, CNews en tête, il est plus que jamais indispensable de disposer de médias publics gratuits qui dispensent une information libre, rigoureuse et pluraliste. C’est même l’une de leurs missions essentielles. L’époque de l’ORTF, où le pouvoir (gaulliste) contrôlait l’information, est révolue depuis longtemps.
Affaiblissement du financement pour le cinéma et la production télé
Plus d’audiovisuel public, ce serait affaiblir le financement du cinéma et de la production télé. « France Télévisions et Arte investissent 600 millions d’euros par an dans la création », rappelle à l’envi la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Le coup pourrait même se révéler fatal pour le documentaire ou l’animation. Les remarquables Charlie Chaplin, le génie de la liberté (François Aymé et Yves Jeuland) ou Décolonisations, du sang et des larmes (David Korn-Brzoza et Pascal Blanchard) auraient-ils pu être produits et diffusés ailleurs que dans le service public ? Pendant le confinement, France Télévisions s’est mobilisé pour ne pas rompre le lien entre les citoyens et la culture (création de Culturebox), les élèves et l’école (cours sur France 4). Qui d’autre l’aurait fait ?
Plus d’audiovisuel public ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour les chaînes privées. En plein processus de fusion — l’avis de l’Arcom (ex-CSA) est attendu fin mars, celui de l’Autorité de la concurrence à l’automne —, TF1 et M6 restent prudentes. « Nous sommes pour un audiovisuel public fort », lâche-t-on à TF1. Qui verrait d’un mauvais œil l’émergence de nouveaux concurrents financés par la pub.
Des chiffres d’audience très bons pour les radios publiques
Plus d’audiovisuel public, ce serait fâcher… une bonne part des auditeurs et des téléspectateurs. Première radio de France, France Inter est écoutée par sept millions de personnes chaque jour. Et les chiffres des autres antennes de Radio France sont au beau fixe. Avec Arte, France Télévisions représente le tiers de l’audience télé (Médiamat de février 2022). En pleine fragmentation des audiences, France 2 retrouve celles d’il y a dix ans. Une étude réalisée par l’Union européenne de radio-télévision (UER) en septembre 2021 dans cinquante-deux pays, citée par Le Monde (16 décembre 2021), montre que plus l’audience de la télé et de la radio publiques est élevée, plus les citoyens s’intéressent à la politique, croient en la démocratie, et ont confiance dans les décisions nationales...
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