Pour la première fois, l'étude chiffrée "Rebuilding Europe" du cabinet d’audit EY montre l'étendue de la crise. Une véritable catastrophe culturelle.
Ces dernières années, la culture au sens large du terme - et cela inclut dix secteurs : la musique, les arts visuels, le spectacle vivant, le livre, les jeux vidéos, la presse, l’architecture, la publicité, la radio et l’audiovisuel - a été à la pointe de l’économie européenne. Ces dix secteurs représentaient 4,4 % de l’ensemble du PIB européen, comptaient pour 7,6 millions d’emplois avec un chiffre d’affaires estimé à 643 milliards d'euros.
Ce secteur culturel européen était en plein boom : 700 000 nouveaux emplois ont été créées ces six dernières années. La progression économique a été tout particulièrement spectaculaire dans les jeux vidéos, la musique, l’architecture ou encore la publicité et, plus faible, mais également significative dans le spectacle vivant, l’édition ou les arts visuels. Cette progression venait notamment des pays de l’Europe centrale et orientale.
La culture était donc un des secteurs les plus dynamiques en Europe, à 90 % porté par le marché et le secteur privé - et seulement 10 % par le secteur public. Contrairement à ce que l’on croit souvent, ce secteur contribuait positivement à notre balance économique. Nous exportions plus que nous importions de biens et services culturels, soit un bénéfice net de notre balance commerciale autour de 28 milliards d'euros. En 2017, ce secteur était supérieur par son surplus économique à celui du secteur alimentaire. La culture en Europe pesait également plus que les télécommunications, l’industrie pharmaceutique ou encore l’industrie automobile.
Mais c’était avant la pandémie. Les effets du Covid-19 sur les données 2020 sont à la fois spectaculaires et effrayants. L’an dernier, la culture a perdu en Europe 31 % de son chiffre d’affaires : – 199 milliards d'euros par rapport à 2019. De manière globale, c’est le deuxième secteur le plus affecté par la crise sanitaire, un peu après l’industrie aéronautique, mais avant le tourisme.
Si l’on regarde maintenant par sous-secteurs, on constate que cette "faillite" – le mot est employé à dessein – est massive en 2020. Par rapport à 2019, le chiffre d'affaires pour le théâtre et le spectacle vivant a chuté de 90 % tandis que celui de la musique a baissé de 76 %. Tous les autres sous-secteurs sont affectés, que ce soit les arts visuels, l’architecture ou la presse. Seul les jeux vidéos connaissent une augmentation d’environ 10 % par rapport à 2019. L’étude ne permet pas encore de connaître la perte du nombre d’emplois dans ces différents secteurs culturels. Cette perte est difficile à calculer en raison des aides dÉtats.
Que conclure de cette étude ? Elle vient d’abord confirmer l’impact économique inégal de la crise sanitaire, la culture étant un secteur sur-affecté. Ensuite, les conséquences économiques de cette crise seront durables. Par exemple, les pertes de revenus des sociétés de collectes de droits d’auteurs - tels que la SACEM - sont reversés jusqu'à trois années plus tard, ce qui aura des conséquences sur les revenus des musiciens ou des artistes pendant plusieurs années. Enfin, même si la crise sanitaire s’estompe et les lieux culturels peuvent rouvrir ce printemps ou avant l’été, le tourisme qui le nourrit et les personnes les plus âgées qui en sont parfois le public le plus fidèle, mettront longtemps à revenir. Sans doute pas avant 2022.
Une note plus positive pour conclure. Ce que l’étude "Rebuilding Europe" montre, c’est la capacité d’innovation du secteur culturel et créatif. Ces dernières années, la culture s’est métamorphosé, elle a intensifié son basculement dans le numérique, elle a proposé de nouvelles pratiques live et de nouvelles expériences pour les publics. On consomme beaucoup plus de services culturels en ligne qu’on ne le fait par exemple pour l’alimentation ou le shopping.
Cette métamorphose est sans doute la clé de la relance culturelle. C’est par la transformation, l’adaptation, le changement, que le secteur culturel va pouvoir rebondir. En 2021, il faut imaginer ce big bang. Par exemple en France :
- Repenser complètement le modèle de l’Opéra national de Paris, ses statuts obsolètes, son entre soi et sa capacité à toucher de nouveaux publics même si le beau projet de la plateforme "Opéra chez soi" va déjà dans la bonne direction.
- La Bibliothèque nationale de France pourrait se mettre à offrir tous les livres et documents tombés dans le domaine public en ligne. Un Gallica enfin efficace et puissance 10. Aujourd’hui on trouve ces livres français en grande majorité sur Google.
- L'Éducation Artistique et Culturelle (EAC) pourrait être placée au cœur des politiques culturelles, et non à sa marge, et une partie du budget de chaque institution y être conditionnée. La création de la nouvelle Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle au ministère de la Culture va déjà dans ce sens.
- La musique en streaming, qui est désormais un modèle économique vertueux et le seul à avoir fait ses preuves pour la musique enregistrée, devrait être promu et encouragé. Trop peu de Français sont aujourd’hui abonnés à l’un de ces services tels que Spotify, Deezer, Qobuz ou Apple Music.
- Le Pass Culture, une fausse-bonne idée qui a pu paraître inutilement coûteuse, pourrait être repensé comme un one shot massif à l’automne 2021 afin d'aider les institutions culturelles en incitant une classe d’âge à sortir au spectacle.
- La culture à l’hôpital ou en maison de retraite, la culture en entreprise, la culture en prison pourraient également faire l’objet d’un grand soutien, et la lutte contre l’illettrisme devenir une priorité nationale dont les moyens bénéficieraient aux travailleurs sociaux, aux librairies et aux bibliothèques. Une grande campagne en faveur de la culture dans les quartiers pourrait être également une priorité.
L’étude "Rebuilding Europe" du cabinet EY, pour inquiétante qu’elle...
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