On efface tout et on recommence : après deux éditions chaotiques, la 47e cérémonie des César, diffusée en clair sur Canal+ ce vendredi, va tenter de redorer son blason après une année riche en films, mais difficile en termes de fréquentation (91 millions d'entrées, en repli de 55 % par rapport à 2019), freinée par les restrictions sanitaires et une certaine désaffection du public. Pour résumer l'état d'esprit de la profession : « Ça passe ou ça casse. »
En haut lieu, le mot d'ordre est simple : pas de dérapage et une soirée la plus chaleureuse possible. Il ne faudrait pas que les César 2022 soient ceux des Illusions perdues, le film à succès de Xavier Giannoli, favori de cette édition avec quinze nominations. Pas de sabotage comme en 2020 avec Florence Foresti ni de suicide en direct, à l'image de l'édition 2021 qui a laissé un goût amer chez les professionnels et une impression de grand foutage de gueule chez le public. L'an dernier, le grand film vainqueur des César s'appelait Adieu les cons ! Son réalisateur, Albert Dupontel, ne s'était pas déplacé. Prémonitoire.
Après la démission, il y a deux ans, de l'équipe historique de l'Académie des arts et techniques du cinéma présidée par Alain Terzian, à qui on reprochait sa gestion autocratique, son opacité des comptes, son système de cooptation et son manque de parité – pas moins ! –, la nouvelle direction, assurée par le binôme Véronique Cayla/Éric Toledano, s'est employée à aménager les statuts, assurer la parité homme/femme et organiser la sélection des œuvres en lice et le vote.
Pas de doute, un vent nouveau devait souffler sur cette académie après que des « vieillards inamovibles », les Terzian, Lelouch, Costa Gavras, Philippe Labro, Danièle Thompson et d'autres, ont été priés de quitter leur siège. Les quelque quatre mille cinq cents membres (avec une meilleure parité homme/femme) appelés à voter dans le même élan devaient préfigurer des lendemains qui chantent et résorber ce déficit de démocratie « dommageable ».
De quoi rassurer les frondeurs et les collectifs féministes qui appelaient au renouveau. Mais où est ce changement ? Danièle Thompson, 80 ans, cinéaste de talent à qui on a montré la porte en 2020, sera la présidente d'honneur de la cérémonie. Antoine de Caunes, vieux routier de l'exercice, est chargé de redonner des couleurs à la soirée.
« Pas de provoc », promet Antoine de Caunes
Alors quoi ? Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, sinon le retour aux bonnes vieilles recettes des cérémonies antérieures, quand les César étaient vraiment une fête rarement gâchée, sinon par le happening annuel des intermittents du spectacle. Autrement dit comment faire du neuf avec du vieux en revenant à une sorte de classicisme digne des remises de prix dans un salon agricole.
« Je ne souhaite pas une autre Masiero [qui s'était affichée nue l'an dernier, NDLR], a déjà prévenu Antoine de Caunes. Je veux éviter ce registre-là. J'ai envie d'une soirée joyeuse, d'émotions et de rires, et de remettre le cinéma au cœur de ce gala. »
Plutôt flatté de jouer le Monsieur bons offices, l'animateur vedette a suffisamment de métier et d'humour pour relever le niveau. Prudent, il aura sous les yeux tous ses textes écrits avec son équipe, ce qui devrait éviter le côté « pipi caca » de 2021 et les débordements non contrôlés de Marina Foïs, transformée en porte-voix des textes de Blanche Gardin et de ceux de Laurent Lafitte, dignes d'un cabaret pétomane. Pas de « provoc ! », dixit de Caunes, mais quelques gags comme dans une réunion de famille. Pas n'importe laquelle, celle très susceptible et faussement décontractée du cinéma qui, mine de rien, prend très au sérieux cette soirée au cours de laquelle sont récompensés les bons élèves. Donc, pas question de les chambrer façon Ricky Gervais, qui avait fait un carton dans sa présentation des Golden Globes 2020, où il tirait à boulets rouges sur Hollywood et ses pauvres acteurs qui ont des états d'âme.
« J'adorerais faire comme lui, avoue à voix basse Antoine de Caunes, mais ce n'est pas dans l'esprit du public français et dans le ton d'une cérémonie importante pour la profession. » « Pas de brouhaha inutile, répond Pierre Lescure dans C à vous, il faut célébrer le cinéma comme un signal joyeux et y retourner en courant. »
Le carnaval des ego fait moins recette
Il faut dire que les César reviennent de loin et qu'ils pourraient très bien tomber en disgrâce comme les Golden Globes cette année, boycottés par Hollywood et privés de leur retransmission télévisée.
Message reçu et avis aux lauréats qui seraient tentés de confondre remerciements à leurs parents et tribune politique. Plus question de se plaindre du mauvais traitement par le ministère de la Culture d'une profession considérée comme hyperprivilégiée par les Français : le ministère a accordé 302 millions d'euros d'aides pendant la pandémie, a prolongé le régime des intermittents et débloqué 50 millions de fonds de garantie pour les tournages.
Mais les surprises du direct font que rien n'est gagné d'avance. On a vu des invités changer leur texte pour faire la différence ou quitter bruyamment leur siège, comme l'actrice Adèle Haenel lors de la remise du césar de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour J'accuse, en 2020.
On aura compris que ce genre d'avertissement n'est pas inutile quand les chiffres d'audience de la soirée (bien trop longue) sont moyens : 1,9 million de téléspectateurs en 2017, à peine 2 millions en 2018, 1,6 million en 2021, son plus mauvais score. Outre-Atlantique, cette désaffection du public a également touché les Oscars 2021, qui n'ont attiré que...
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