Dans un rapport publié mardi, l’Unesco appelle les gouvernements à investir plus de moyens dans les secteurs culturels et créatifs, durement touchés par la crise sanitaire.
L’Unesco a publié la troisième édition de son rapport «Repenser les politiques en faveur de la créativité», sous-titré «La culture, un bien public mondial». Mission de ce vaste texte qui s’étale sur pas moins de 331 pages : suivre la mise en œuvre de la Convention de 2005, dans laquelle l’Organisation des nations unies établissait une liste d’objectifs désirables pour protéger et promouvoir «la diversité des expressions culturelles» à l’échelle mondiale.
Bien que souffrant de données lacunaires dans certains domaines, notamment sur la place des femmes dans la culture et les médias, le rapport dresse un état des lieux impressionnant par son ampleur. En guise de préambule, des chiffres massues viennent remettre les idées en place : d’abord, un rappel de la part que représentent les emplois culturels et créatifs, à savoir 3,1 % du PIB mondial et 6,2 % du total des emplois.
Après la pandémie, au cours de la seule année 2020, 10 millions d’emplois ont été perdus dans les secteurs culturels et créatifs, parmi les plus durement touchés par cette crise sanitaire. Cette même année, «les droits collectés pour les créateurs ont chuté de plus de 10 %, soit plus d’un milliard d’euros», rappelle Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco, dans sa préface, ajoutant : «De précaire, la situation de nombre d’artistes est devenue insoutenable, menaçant ainsi la diversité de la création.» Dans le même temps, la consommation de biens et de services culturels a augmenté, ce qui donne lieu à ce paradoxe soulevé par Karima Bennoune, la rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels de l’époque : «Au moment où les expressions culturelles avaient davantage de sens, ceux qui produisent l’art et la culture avaient de plus en plus de mal à travailler.»
Les femmes sous-représentées aux postes créatifs
Si nombre de gouvernements ont mis en place, de façon plus ou moins improvisée, des mesures ponctuelles (fonds de soutien, plateformes en ligne, exonération temporaires, promotion des contenus culturels nationaux dans les médias…), le défi réside dans la pérennisation de dispositifs aptes à protéger les artistes, le Covid ayant joué un rôle de catalyseur de la transition numérique et bouleversé des usages en profondeur. Concrètement, le streaming de contenus audio et vidéo a explosé, et cette explosion est d’autant plus criante quand on la compare aux autres usages en ligne. Un tableau met ainsi côte à côte le volume de données circulant sur Internet en une minute, en 2016 et en 2021 : en l’espace de ces cinq ans, le nombre de connexions par minute à Facebook a doublé, de même que le nombre de recherches Google, le nombre de publications sur Instagram ou le nombre de vues sur YouTube… tandis que sur Spotify, les heures d’écoute ont été multipliées par 5, et sur Netflix, les heures de visionnage se retrouvent multiplié par près de 8,5.
A l’échelle mondiale, des mesures ont été prises en priorité dans le cinéma et l’audiovisuel, ainsi que dans la musique et les arts du spectacles (respectivement 28 % des nouvelles mesures adoptées pour protéger les artistes et professionnels de la culture), une tendance générale qui a connu un élan inédit au moment de la crise sanitaire. Parmi les nombreux exemples cités, la Corée du Sud a décidé d’allouer 22 millions de dollars par an à la mise en place de filets de protection sociale pour les artistes qui n’en bénéficiaient pas, mais aussi de subventionner les indemnités versées dans le cadre d’accidents du travail, ou encore de créer une «fondation pour le bien-être des artistes».
En termes de diversité et de représentativité, le rapport pointe : «Au sein de l’économie numérique, les principaux distributeurs de contenus culturels financent également la production d’une partie des contenus, ce qui signifie qu’ils ont un impact direct sur la promotion des expressions culturelles. Or les activités de ces grandes entreprises sont rarement soumises aux nombreuses réglementations qui pourraient promouvoir et protéger efficacement la diversité des expressions culturelles.» En Europe et en Amérique du Nord par exemple, 86 % des médias publics et privés sont soumis à un suivi des autorités de réglementation, contre seulement 64 % des médias en ligne. Et si le constat global est que «l’égalité des genres est une priorité de plus en plus importante pour les autorités publiques et les organisations de la société civile», et que 48,1 % de l’ensemble des postes dans la culture et le divertissement sont occupés par des femmes, elles demeurent sous-représentées aux postes créatifs – dans l’industrie cinématographique, qui est pourtant celle qui de loin œuvre le plus en faveur de l’égalité des genres, loin devant la musique ou l’édition, moins d’un quart des prix dans les catégories «Meilleure réalisation» ou «Meilleur scénario» ont été décernés à des femmes. De manière générale, dans les professions culturelles, les femmes ont été plus durement touchées par la perte d’emploi que les hommes pendant la pandémie. Ainsi, au Royaume-Uni, «une enquête sur l’industrie du cinéma indique une chute effarante de 51 % du nombre de travailleuses indépendantes fin 2020 par rapport au début de l’année (contre une baisse de 5 % pour les hommes)».
Des chiffres encore fragiles
Au rayon liberté de création, de nombreux pays ont fait un pas en avant en abrogeant des lois sur le blasphème et la diffamation. Toutefois, les attaques contre les artistes (depuis la censure jusqu’aux meurtres) sont en hausse continue depuis 2018 avec un bond en 2020, le Covid ayant exacerbé les critiques de ces derniers envers les gouvernements pour leur gestion de la crise : en 2020, 978 attaques ont été relevées par l’ONG Freemuse qui surveille les atteintes à la liberté d’expression artistique, contre 673 en 2018. Pour finir sur une note joyeuse, plusieurs études récentes montrent dans l’ensemble, tous secteurs confondus, «une augmentation exponentielle des cas de dépression, qui ont parfois quadruplé par rapport à 2019» avec des effets particulièrement dévastateurs dans la culture. Ainsi, le Syndicat turc des musiciens et interprètes révèle que «plus de 100 musiciens de Turquie se seraient suicidés en raison de l’impossibilité à continuer d’exercer leur art», tandis que «l’Australie a observé une augmentation du nombre de suicides dans le secteur de la musique pendant la pandémie, un triste scénario qui se répète sans aucun doute dans d’autres pays et secteurs culturels».
Des premiers chiffres encore fragiles...
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