Le secteur culturel et créatif représente un poids économique majeur en France, en termes de valeur ajoutée – comparable à l’agroalimentaire, double de l’automobile –, d’emploi, de développement des territoires et, est-il utile de le rappeler, un fondamental social, démocratique et humain.
Or, face aux mutations du secteur culturel, artistique et créatif, conjuguées aux diverses crises économiques que nous connaissons, il est nécessaire de réinventer les modèles économiques. Le contexte sanitaire actuel (Covid-19) frappe de plein fouet le secteur culturel : fermeture et limitation des jauges des salles de spectacle, baisse de fréquentation des musées et lieux culturels, effondrement du tourisme culturel international, etc. Les plans de relance européens et français le soulignent par l’effort consenti en soutien au secteur culturel (2 milliards d’euros dans le plan français) et les mesures financières spécifiques (garanties des prêts par exemple). L’enjeu est d’assurer la pérennité de la création, vocation première de ce secteur, dans un contexte de repli général des financements publics dont il dépend historiquement et de crise sanitaire. Une des perspectives réside dans le développement de l’entrepreneuriat culturel et créatif.
Pourtant, divers freins limitent le développement de cet entrepreneuriat particulier. L’un des plus importants réside dans les difficultés d’accès aux financements, en particulier lors de la phase d’amorçage. Si cet enjeu est crucial pour toute forme d’entrepreneuriat, il se révèle particulièrement ardu dans le cas de l’entrepreneuriat culturel et créatif.
Pourquoi observe-t-on cette exclusion financière ? Intuitivement, l’on penche pour une insuffisance de l’offre de crédit : les banques et financeurs traditionnels ne s’engageraient pas en raison des fragilités économiques inhérentes au secteur et d’un risque financier plus important que dans l’économie traditionnelle.
Un certain nombre de caractéristiques du secteur peuvent ici être évoquées, qui justifient cette hypothèse : bien expérientiel, incertitude extrême – l’artiste ne fait pas une étude de marché avant de peindre… –, économie de signature, pour partie économie de prototype, capital humain non aliénable ni susceptible de constituer une garantie financière à la banque (les artistes d’une compagnie, qui en constituent « l’actif » principal, ne sont pas à son bilan et ne peuvent lui être attachés par des contrats activables, tels qu’on peut l’observer dans le foot par exemple), faible niveau de fonds propres – sous-capitalisation structurelle, dimension non lucrative pouvant être comprise comme accroissant les risques de non-remboursement, etc.
Nous avons mené une étude exploratoire, principalement qualitative, qui nuance ces explications. Celle-ci s’est basée sur une série d’entretiens, d’un côté avec des entrepreneurs culturels issus de structures de petites et moyennes tailles dédiées au spectacle vivant (théâtres, cirque, salles de musique), au patrimoine ou aux arts visuels (galeries) ; et d’un autre côté avec des banquiers généralistes pour une part, se déclarant intéressés par le secteur culturel pour une autre part.
Le premier niveau d’analyse a consisté en une analyse sémantique systématique (axial coding) des textes des entretiens, permettant de repérer les occurrences fortes, pour en déduire les caractéristiques et facteurs explicatifs observés ou expérimentés des deux côtés de la demande de financement. Les données ont ensuite été croisées (triangulation) avec les états financiers des entreprises demandeuses de crédit présentés aux banques.
Un secteur atypique dans sa relation bancaire
Si l’on observe de près les éléments de la relation bancaire, nous notons d’abord quelques spécificités du secteur culturel et artistique. En premier lieu : contrairement aux idées reçues, son taux de défaut sur emprunt (non-remboursement) est faible et, globalement signalé comme inférieur à celui des autres secteurs. Également, à la différence de la plupart des autres secteurs, les besoins de financement portent peu sur l’investissement mais concernent en priorité le besoin d’exploitation (avances sur production par exemple, pour financer les montages, répétitions, etc., d’un spectacle en amont de sa diffusion et des encaissements liés). Les entrepreneurs ont également des besoins en offres diversifiées incluant des garanties (services de cautionnement), de l’accompagnement et du conseil.
Autre élément intéressant, les critères d’évaluation des demandes de crédit par les banques intéressées par le secteur sont qualitatifs avant d’être quantitatifs. Ainsi, quand ces banques évaluent la demande de crédit d’un entrepreneur culturel, elles regardent d’abord la personnalité de l’entrepreneur, sa passion, ses envies et le projet lui-même. Après seulement elles observent les données financières. De manière symptomatique, l’analyse technique est essentiellement fondée sur une analyse fonctionnelle (cash-flow plus que structure du bilan) et, enfin, sur l’existence de garantie. Intuitivement, on pourrait croire que les critères de rentabilité et de solvabilité seront premiers, mais ce n’est pas le cas.
Quelques phrases marquantes recueillies lors de nos entretiens illustrent cela : « Dans la culture on ne juge pas de la dimension culturelle et créative, ce qui compte c’est la passion et l’envie » ; « On cherche des preuves de la crédibilité de l’histoire et de l’entrepreneur », ce qui souligne l’importance du background et de la notoriété de ce dernier ; ou encore : « On ne raisonne qu’en fonctionnel, pas en patrimonial, et au final que sur les cash-flows ». Ces observations suggèrent que les banques sont en mesure d’accompagner le financement de l’entrepreneuriat culturel, et que celles qui le font ont su adapter leur analyse aux spécificités du secteur.
Du côté des entrepreneurs culturels, les éléments significatifs qui apparaissent dans le choix de la banque sont la relation humaine, la proximité, la confiance, le conseil et le caractère long terme de la relation avec le/la conseiller/e bancaire. En plus de ces facteurs assez habituels ressort l’importance que le conseiller comprenne le secteur et le projet. Ici, le fait que la banque ait une offre technique adaptée n’est pas perçu comme déterminant : ce qui compte, c’est que la banque comprenne le projet et les particularités économiques du secteur culturel.
« On n’est pas forcément compris par les banques, et cela est compensé uniquement par une relation personnelle » ; « J’ai changé de banque car il ne comprenait strictement rien à notre activité et notre secteur » sont des phrases révélatrices, relevées lors des entretiens.
Exclusion financière
Ces éléments de caractérisation de la relation bancaire dans l’entrepreneuriat culturel cadrent le contexte qui permet de comprendre l’exclusion financière des PME du secteur culturel. Toutefois, nous identifions dans l’étude des freins plus profonds.
Un premier facteur explicatif, peu attendu, tient au fait que la demande de crédit des entrepreneurs culturels est faible. Plus que l’insuffisance d’offre, l’insuffisance de demande de crédit semble jouer un rôle majeur dans l’exclusion financière constatée. Les entrepreneurs culturels ne veulent pas s’endetter, ni « devenir dépendants » : « On se débrouille pour avoir de la trésorerie, de l’avance » ; « On essaye d’être aussi autonome que possible » ; « On serait prêt à emprunter si vraiment c’était nécessaire et qu’on...
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