Les données manquent pour justifier les restrictions affectant les sorties culturelles. Mais, dans les salles de spectacle, les théâtres et les cinémas, le problème est qu'il est quasiment impossible, actuellement, de remonter les chaînes de contamination.
Ni dérogation, ni assouplissement ! Inquiète des conséquences économiques catastrophiques à venir, Roselyne Bachelot, avait plaidé la semaine dernière, dans un entretien au Parisien, pour une modification du couvre-feu au-delà de 21 heures en faveur des cinémas et salles de spectacles. La ministre de la Culture était dans son rôle (pouvait-elle dire le contraire ?). Le billet valait alors comme justificatif aux spectateurs.
Peine perdue : Jean Castex a tranché et fermé la porte à un assouplissement du couvre-feu pour le monde du spectacle en déclarant que «les règles doivent être les mêmes pour tous». Une position partagée par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance. La doctrine de l'exécutif est donc : pour que le couvre-feu soit efficace, il ne faut pas faire d'exception.
Cette position n'a pas manqué de susciter l’inquiétude, la colère et l’incompréhension du monde culturel. Comment expliquer une telle intransigeance du gouvernement ? Sur quelles bases scientifiques s’est-il appuyé pour justifier cette décision visant les activités culturelles ?
En pleine incertitude
Si Roselyne Bachelot avait déclaré, le 2 octobre à Avignon, qu’« aucun lieu de spectacle qui a rouvert n’est devenu un lieu de contamination », l’exécutif manque en réalité de données sur les lieux de contamination.
Un chiffre permet de mesurer à quel point la compréhension du virus est partielle : à peine un quart (27,1 %) des personnes positives sont liées à un autre cas positif. Dans trois cas sur quatre, l’assurance-maladie n’arrive pas à remonter les chaînes de contamination. Autrement dit : les lieux de contamination ne sont pas connus. Rien ne permet donc d'affirmer les lieux culturels (comme les moyens de transport collectif, les bars ou les restaurants) ne peuvent pas, en dépit des protocoles mis en place et globalement parfaitement respectés, constituer des foyers de contamination…
Si le gouvernement cible les lieux culturels, les bars et les restaurants, c’est donc qu’il agit en pleine incertitude et applique un principe de précaution maximale, en suivant une certaine logique : actuellement, il est possible de remonter les cas positifs dans les écoles, les universités, sur le lieu de travail, parce qu’on peut les tracer. Mais dans les établissements comme les cinémas, les théâtres et salles de spectacle, les participants sont anonymes, il n’y a aucun traçage possible. On ne peut pas bloquer les chaînes de contamination. Sauf pour les lieux – encore minoritaires – qui demandent à leur public de communiquer leurs identité et coordonnées (en sachant que beaucoup de spectateurs laissent de fausses informations par crainte d'être "fichés"...).
Au-delà de ces exemples significatifs mais isolés (le rassemblement évangélique de Mulhouse, fin février, des abattoirs en Mayenne cet été…), il n’existe pas en France d’étude tentant d’identifier les lieux de contamination du Covid-19.
Une enquête sur les lieux de contamination
Si dans d’autres pays, il a été possible d’identifier des rassemblements festifs et culturels comme étant à l’origine d’une propagation du Covid-19, en France, il n’est pas possible pour les autorités de décrire si précisément un cas de contamination groupée. « Notre réglementation protège les données médicales personnelles. Même en tant que chercheur, on a du mal à retrouver les gens pour les interroger et remonter les chaînes de communication », explique l’épidémiologiste Dominique Costagliola, interrogé par Mediapart.
Santé publique France va lancer une enquête sur les lieux de contamination, a indiqué l’épidémiologiste, Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de l’agence, au Huffington Post.
D’ici là, le secteur culturel reste – hélas ! – soumis à des restrictions qui ne manquent pas de le fragiliser dangereusement. L'adaptation des horaires des représentations ou des séances, lorsqu'elle est possible, ne suffira pas à compenser les pertes. Très remontés, dénonçant l’absence totale de consultation, réclamant une « exception culturelle », certains professionnels vont jusqu’à préconiser de mener la bataille sur le front juridique. « Les professionnels doivent saisir le Conseil d’Etat pour tenter de faire annuler le décret instituant le couvre-feu à l’égard des lieux culturels », estime ainsi Pascal Rogard, président de la SACD, dans Le Monde.
Au ministère de la Culture, on promet un « renforcement des mesures transversales qui s’appliquent naturellement au secteur de la culture (fonds de solidarité, exonération de cotisations, activité partielle) », mais aussi « de nouvelles mesures spécifiques » pour soutenir le secteur et contribuer à sa relance. Pas sûr que cela suffise à rassurer les professionnels.
Antoine Blondel