La première édition de ce rassemblement lancé par Roselyne Bachelot avec les professionnels des festivals s’est ouverte à la Fabrica d’Avignon ce vendredi.
Les festivals ont de la chance. Ils ont désormais leurs états généraux. La première édition de ce grand déballage de doléances, mal-être et foi en un avenir débarrassé du Covid s’est ouverte à la Fabrica d’Avignon ce vendredi, en présence d’un quintal d’officiels et de professionnels divers. L’événement dure deux jours et propose des ateliers pour réfléchir à la situation calamiteuse du secteur, que l’on peut aussi suivre en direct en s’inscrivant sur la plateforme du site dédié. D’autres rendez-vous devraient suivre, au printemps à Bourges par exemple, mais sans, hélas, le charme de la pluie battante de type mousson du Vaucluse qui a douché d’entrée les participants.
Dans la cour, les invités courent sous les murs d’eau et au fond du parking une douzaine de guides-conférenciers portant deux banderoles s’éclipsent après avoir décroché un rendez-vous à la préfecture : «On n’a pas de revenus, on ne touche plus rien. Pas d’année blanche pour nous et personne ne s’en rend compte !», hurle Benjamin entre deux bourrasques. Ils étaient venus rencontrer la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, mais elle a d’autres chats à fouetter : sauver l’économie moribonde des festivals, dont une grande partie a été contrainte aux annulations cet été. France Festivals, dont les études fournies vont abreuver les débats et dont on ne peut que recommander la lecture, estime que 2 640 manifestations sur environ 4 000 ont dû fermer leur porte cette année.
«Merci Madame la ministre»
C’est sur les lieux mêmes de la plus symbolique des annulations, celle du Festival d’Avignon, que le public est accueilli par de la musique lounge. Sur la scène, des fauteuils demi-coquilles d’œuf, vides. Un écran géant. Et si le programme des ateliers thématiques transverses auxquels tout type de festival peut correspondre est connu à l’avance - développement durable, parité, rôle des bénévoles, territoires…-, aucun des présents essorant leur manche ne sait par quoi ce barnum inédit va débuter.
Ce sera par des remerciements. Pendant trente minutes, le directeur du Festival, la maire, les chargés de culture départementaux, régionaux, et la ministre se congratulent et se serrent les coudes : «C’est en travaillant ensemble que les festivals en sortiront plus forts.» «Le Vaucluse, c’est la culture !» Merci pour l’Ardèche. «Si la culture coûte cher, essayez l’ignorance !» Et tous de se réjouir, à raison mais sans aucune gêne, d’être intervenus pour maintenir le secteur en vie à coups de plan de relance du ministère, mais aussi de gestes ambitieux des collectivités territoriales. Quel amour du spectacle, quelle fougue dans l’invective aux «politiques comptables de la culture», et en même temps quel pouvoir narcoleptique dégage cette série de discours articulés autour des phrases «imagination au pouvoir», «devoir de réinvention», «merci Madame la ministre». Entre chaque prise de parole, une musique accompagne les déplacements des participants, comme aux césars mais sans les récompenses. Le type derrière nous soupire. On comprend que ces états généraux sont l’hélium qui servira à gonfler une gigantesque baudruche dont on ne sait encore si elle va sauver la fête ou s’envoler à tout jamais dans les cieux des commissions Théodule. «Chacun doit pouvoir s’exprimer, ici mais aussi dans les Drac [Directions régionales des affaires culturelles, où se tiennent aussi des ateliers, ndlr], et prendre part à cette dynamique nationale de concertation, tout en tenant compte de la diversité des situations locales.» Le voilà, l’objectif : parler. Une psy des pros de la culture à salle ouverte.
Cousu main et trous dans la raquette
Le sociologue Emmanuel Wallon s’engage alors dans un discours impressionniste où il alterne blagues et remarques qui réjouissent l’auditoire : «L’implication des publics aux mesures sanitaires concourt moins à la propagation du virus qu’une course au supermarché, un trajet en métro, voire un voyage sur Air Force One.» Applaudissements. Musique. Après quinze mois de disette, le spectacle est enfin de retour en Avignon. Second acte, le forum. Un micro passe. La parole publique se libère et vient fouetter les experts réunis sur la scène, nous voilà dans le théâtre documentaire, les mains fouillant les tripes des coulisses festivalières. Jérôme Trehorel, des Vieilles charrues : «Le chômage partiel s’arrête au 31 décembre. Envisagez-vous une prolongation si on ne redémarre pas rapidement ?» La ministre Bachelot s’empare du micro, détaille des mesures précisées par le ministre des Finances il y a deux jours : poursuite du chômage partiel à hauteur de 100% pour les industries culturelles. «Et la culture bénéficiera toujours du taux majoré.» Elle déplie tout : le fonds de solidarité (de 1500 à 10 000 euros mensuels), l’allongement de la durée d’amortissement pour les prêts garantis par l’Etat (six ans) avec taux bonifié (entre 0 et 0,5%), l’intermittence garantie jusqu’au 31 août («avec recherche de droits sur les deux années précédentes pour le calcul des heures»). «On essaie de faire du cousu main, mais il y aura toujours des trous dans la raquette. Des dispositifs généraux et ciblés, c’est comme ça que je veux agir, je suis prête», affirme-t-elle derrière son masque bleu. Elle fait front dans ce qui ressemble à un Parlement de professionnels qui la mettent sur le gril.
Philippe Gautier, syndicat des musiciens CGT : «Les droits tombent les uns après les autres. Pas de travail, donc pas de cotisation, donc pas de formation. Quand on est malade, la CPAM demande de se mettre en arrêt, mais il n’y a pas d’heures pour ouvrir un droit à l’assurance maladie. Et on veut surtout travailler.» La ministre est d’accord : «Les spectacles debout ne peuvent pas être repris, à cause de l’agglutination qui engendre un risque de contamination important. Pour les autres, on a ouvert des jauges à 1000 personnes maximum et dans les zones où le virus est faible, des jauges à 100%. J’invite à reprendre les activités. Des aides sont mobilisables. Je veux tenir un discours positif. Pas un seul lieu qui a rouvert n’a été un lieu de diffusion du virus. On est plus en sécurité dans une salle de spectacle que dans sa famille.»
On pose même à la ministre des questions de santé publique. Jérôme Benet, Archéo Jazz Festival : «Quid de la recherche sur le virus ? Si en janvier on n’a pas de perspective de la diffusion rapide d’un traitement, c’est foutu, on ne programmera pas.» Bachelot : «Je ne suis plus ministre de la Santé, dieu m’en préserve, s’il existe. Je parle de dieu, pas du ministère. (rires) Le manque de visibilité scientifique entraîne un manque de visibilité de gouvernance politique. Nous agissons en suivant l’avancée du virus, nous ne pouvons pas la précéder. Je n’ai que deux solutions : faire confiance à Trump ou allumer un cierge à Sainte Rita. » Et nul doute que Bachelot ce jour-là s’est posée elle-même en défenseure acharnée des causes presque perdues. Si vous la cherchez, sainte Rita travaille rue de Valois. D’autres questions plus techniques concernent la circulaire Collomb, qui fait peser sur les festivals une partie des dépenses de sécurité (police, gendarmerie…). Le préfet Gilles-Henry Garault temporise : «Un groupe de travail se réunit dans deux jours. Nous stopperons toute facturation de service d’ordre indemnisé. Le moratoire se poursuivra si le virus reste actif.»
Troisième acte, la réflexion. Les ateliers. Cet après-midi-là on parlait des nouveaux modèles économiques des festivals. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS : «Les économistes ont pris le volant alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière. Le milieu est attractif, riche, en expansion. Mais fragile. Les festivals sont plus que des festivals et ne procèdent plus d’une économie frivole, ils touchent plusieurs secteurs. Cette économie est politique. Soutenir ou non la culture est une question politique. Donc de choix, de critères. » Parmi les intervenants, Odile Pradem-Faure, du festival de Saintes, résume son cercle vicieux : «Les charges augmentent. Par exemple, la médiation culturelle était assurée par des bénévoles. Mais aujourd’hui ne peuvent entrer dans une école que des gens professionnellement habilités. La médiation pèse sur notre budget. Comme les frais de sécurité. Parallèlement les subventions n’augmentent pas, diminuent même certaines années. Enfin, nous avons moins de ressources propres, comme la billetterie, en 2020 c’est la cata. Au fil du temps, la part artistique se réduit.» Le constat est fatal, et tous prévoient une année 2021 aussi sombre.
Démocratie participative
Pour Jean-Paul Roland, des Eurockéennes de Belfort, le problème est au divorce : «En 2003, il n’y a plus eu d’aides fléchées sur les festivals de musique actuelle. Des grands groupes sont apparus, on a parlé de rachat, de prise de participation. Les rapports avec les Drac se sont détériorés. De nouveaux modèles économiques se sont mis en place, hors des aides de l’Etat.» Il attend de ces états généraux que le lien soit retissé avec...
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