Les maisons lyriques, en difficulté financière, dénoncent le désengagement de l’Etat et des collectivités. Mais un constat s’impose : le public se détourne largement de cet art de plus en plus coûteux et peu en phase avec la société actuelle, analyse Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », dans sa chronique.
Une mort lente est promise à l’opéra en France, et il est fascinant de voir, dans le bal des lamentations, qu’on oublie deux facteurs essentiels qui le plombent : il est un art qui attire peu de public, notamment parmi les jeunes, tout en étant de plus en plus coûteux. Surtout en région. Comment sauver le roi des arts, mariant la musique, le chant, le théâtre et la danse, si on n’affronte pas un diagnostic froid ?
Les patrons d’opéra à Lyon, Montpellier, Toulouse ou Bordeaux dénoncent l’inflation, le prix de l’énergie, et surtout les baisses des subventions des villes et de l’Etat. Ils le répètent dans l’enquête que Le Monde a publiée le 5 juillet. Ils ont raison. Depuis dix ou vingt ans, les pouvoirs publics se désengagent lentement de l’art lyrique. Comme cette forme vit à 80 % de subventions, moins d’argent signifie moins de spectacles, moins de représentations, des fermetures saisonnières au risque de l’oubli, une qualité en baisse. Aucun autre art en France ne connaît un tel retrait.
Mais pourquoi des élus locaux, de tous bords, font-ils la grimace devant leur opéra ? Pourquoi d’autres, qui n’en ont pas, en sont ravis ? Ce n’est pas en répétant qu’ils sont incultes que cela ira mieux, mais en répondant à leur obsession : le public. Encore faut-il le connaître, ce public. Il n’existe aucune étude fouillée sur le sujet, ville par ville, sur dix ou vingt ans : nombre de mélomanes, âge, profil socioculturel, aspirations, etc.
Cherchons ailleurs. Dans son livre L’Opéra s’il vous plaît (Les Belles Lettres, 2021), Jean-Philippe Thiellay, ancien directeur adjoint de l’Opéra de Paris, aujourd’hui président du Centre national de la musique, explique, chiffres à l’appui, comment le public recule depuis des années. Ce facteur, parmi d’autres, lui fait dire : « L’art lyrique peut disparaître corps et biens, c’est une certitude. » D’autant que la France est très loin d’avoir la culture opératique de l’Allemagne, qui, à elle seule, accapare la moitié des billets d’opéra vendus dans le monde.
Marginalisation accélérée
Autre baromètre, l’étude fouillée du ministère de la culture sur les pratiques culturelles des Français, relevait, en 2020, une marginalisation accélérée de l’opéra et de la musique classique en raison du vieillissement du public, du retrait quasi total des 15-28 ans et de la présence dominante de gens aisés creusant les écarts sociaux. Gerard Mortier, qui a dirigé l’Opéra de Paris au milieu des années 2000, nous avait confié ces mots pour cerner des...
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