Ils étaient 11 députés, 7 femmes et 4 hommes, étiquetés Rassemblement national (RN), à siéger au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale. Le 9 juin, jour de la dissolution surprise, leur mandat a pris fin prématurément. Ces deux dernières années, qu’ont-ils voté, défendu, soutenu ou assené sur les bancs de l’hémicycle ou à l’occasion des auditions des différents représentants du service public en matière de culture ? Des centaines de prises de parole, questions écrites, questions au gouvernement et autres propositions de loi produites avec plus ou moins d’assiduité par ces députés parfois introduits de longue date dans la vie politique, parfois totalement novices, et que nous avons épluchés, il ressort une petite musique avec ses thèmes récurrents et ses refrains entêtants.
Défense du patrimoine, privatisation de l’audiovisuel français, promotion des régionalismes et autres folklores, lutte contre le spectre «woke» ou abolition de l’écriture inclusive comptent parmi les rengaines favorites de ces députés RN. Plus surprenant, on compte aussi certains combats de façade qui, à bien y regarder, ressemblent à des faire-valoir : lutte contre l’antisémitisme, protection de l’enfance, restitutions des biens spoliés, meilleure représentation des Outre-mer… Autant de combats louables mais qui, dans la stratégie du RN, ressemblent à des chiffons rouges.
«Le patrimoine est notre histoire pétrifiée»
Dans la profession de foi de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022, on a beau chercher, pas d’entrée culture. A la place, un onglet «patrimoine». «Le patrimoine est notre histoire pétrifiée, au sens premier de cet adjectif ; c’est pourquoi il tient une place majeure dans le programme de redressement moral du pays», pouvait-on lire dans le document. Au menu, deux mesures en particulier retiennent l’attention : le partage à 50 /50 du 1 % artistique, le programme de commande publique, qui se répartirait dès lors à égalité entre soutien à la création contemporaine et restauration du patrimoine existant, et la création d’un «service national du patrimoine, ouvert aux jeunes de 18 à 24 ans pour une durée de six mois renouvelable une fois».
Dans l’une de ses questions écrites adressée le 9 avril à Rachida Dati, la députée RN de l’Essonne, Nathalie Da Conceicao Carvalho, mettait en balance quelques chiffres : une réduction des crédits budgétaires alloués au patrimoine de l’ordre de 99 millions d’euros, contre «la consommation touristique totale» qui «représente environ 150 milliards d’euros pour la France dont plus de 40 milliards rien que pour la région Ile-de-France». Un mauvais calcul en somme, selon elle.
Le 11 juin, soit deux jours après les élections européennes, c’est au tour de Roger Chudeau, 2e circonscription du Loir-et-Cher, de demander à la ministre si elle envisage «de procéder à une révision» de ces coupes budgétaires «afin de préserver le patrimoine culturel français». Caroline Parmentier, députée RN de la 9e circonscription du Pas-de-Calais depuis 2022 et ex-attachée de presse de Marine Le Pen qui contribua à redorer l’image de sa favorite à coups de vidéos de petits chats et de photographies amènes, rappelait quelques semaines plus tôt à sa prédécesseuse, Rima Abdul Malak, en plein vote des crédits de la mission culture, la droite ligne de son parti : «C’est le sens de notre programme au Rassemblement national de promouvoir un projet enraciné, celui d’une France fière de son passé et de son origine.»
C’est elle aussi qui porta la proposition de loi constitutionnelle visant «assurer la préservation et la promotion du patrimoine matériel et immatériel historique et culturel français à l’article premier de la Constitution». Objectif : «Rénover 4 800 édifices menacés par l’usure des siècles» – comprendre : en prenant entre autres appui sur le loto du patrimoine, mais aussi lutter contre les «dégradations par des actes criminels, qui se multiplient et s’accentuent». Dans le texte, étaient ainsi recensés le saccage de l’Arc de Triomphe, le 1er décembre 2018 (par des gilets jaunes), l’incendie de la cathédrale de Nantes en 2020, les dégradations de trois églises parisiennes – Saint-Laurent, Notre-Dame-de-Fatima et Saint-Martin-des-Champs – en 2023 ou le saccage de l’église Sainte-Madeleine d’Angers, le 12 avril 2023, autant de «funestes témoins de ce fléau».
Enfin, selon la députée et les 87 signataires de cette proposition – presque tous membres du RN –, il s’agit de «protéger notre patrimoine culturel contre des idéologies régressives, qui ont pour unique projet de “détruire”, “déboulonner” et “déconstruire”». Autres propositions de loi initiées par des députés du Rassemblement national allant dans ce sens : baisser la TVA sur les billets d’entrée des sites patrimoniaux, transférer la charge d’entretien des édifices religieux construits avant 1905 à l’Etat et, plus «niche», une proposition de résolution européenne visant à la préservation du patrimoine culturel lié aux vitraux et au maintien de l’artisanat des vitraillistes, «menacé» par la révision d’un règlement européen concernant l’interdiction du plomb.
Liberté de création
Il est un autre terrain sur lequel les députés RN ont pris l’habitude d’utiliser la stratégie de la diversion : celle de la protection de l’enfance. Proche de certaines associations, dont Innocence en danger, souvent en première ligne dans les affaires récentes de censure visant des œuvres d’art, certains députés, dont la très active Caroline Parmentier, également membre de la délégation aux droits des enfants, ont fait des droits des mineurs leur cheval de bataille. Saluant le travail de Judith Godrèche lors de son audition à l’Assemblée le 14 mars, plaidant tous azimuts pour une meilleure prise en charge des violences faites aux mineurs, la lutte contre la paupérisation infantile ou l’instruction des enfants en situation de handicap, elle a récemment utilisé cet engagement pour cibler une œuvre d’art contemporain.
L’affaire Miriam Cahn, du nom de l’artiste suisse présentée au Palais de Tokyo au printemps 2023, l’a occupée une partie de cette période, jusqu’à l’attaque vandale du tableau au cœur de la polémique, Fuck Abstraction !, par un ancien élu FN qui l’a aspergé de peinture violette. Si Marine Le Pen a pris le soin de désolidariser son parti de cette action, le moins que l’on puisse dire est que la campagne orchestrée par le RN durant les quelques semaines qu’ont duré l’exposition n’a pas arrangé les choses.
Après la déferlante de publications haineuses consécutives à l’alerte lancée par l’ex-journaliste Karl Zéro qui avait cru voir dans cette peinture, représentant une scène de fellation forcée, une image à caractère pédopornographique, la députée Caroline Parmentier avait posté sur Twitter, paradoxalement sans aucun avertissement pour le jeune public, une vidéo dans laquelle elle se mettait en scène devant la même œuvre qui, selon elle, «présente aux yeux de tous une scène de pédocriminalité».
Le 21 mars, à l’occasion des questions au gouvernement, la même députée qui dans son passé de journaliste pour le journal Présent a multiplié les tribunes contre l’IVG et l’homosexualité, avait ensuite interpellé directement la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak : «Je vous demande si l’exposition de ce genre de tableau sera l’un des marqueurs de votre mandat, un glissement vers la démocratisation et l’acceptation de ce type d’œuvre ? Et si ce n’est pas le cas, je vous le demande solennellement, quand ce tableau va-t-il être décroché ?» Avant de faire remarquer que «si nous n’avions pas demandé l’interdiction des dessins de Bastien Vivès, il aurait été exposé cette année [en 2023, ndlr] au Festival de la BD d’Angoulême».
«Ne mélangeons pas tout», avait répondu la ministre de la Culture. «Vous êtes allée faire votre coup de com et votre vidéo, mais est-ce que vous avez vu l’ensemble de l’exposition ? […] L’interprétation de l’artiste est diamétralement opposée à la vôtre. Miriam Cahn documente et dénonce depuis quarante ans les horreurs de la guerre.» Dans la foulée, quatre associations de protection de l’enfance avaient déposé une requête auprès d’une juge des référés, puis devant le Conseil d’Etat, toutes deux déboutées.
Alors que l’ex-élu frontiste Pierre Chassin qui s’en était pris au tableau de Miriam Cahn sera prochainement jugé pour «dégradation volontaire», Caroline Parmentier a porté il y a quelques semaines une proposition de loi «luttant contre le vandalisme politique des œuvres d’art». Mais dans son viseur, ce sont bien les militants écolos qui s’en sont pris ces dernières années aux tableaux de Van Gogh, De Vinci ou Monet qui sont ciblés. Lesquels, contrairement à l’élu FN, ont toujours pris soin de ne pas endommager les œuvres qui étaient systématiquement protégées par une vitre. «Le sens de cette proposition de loi est de lutter plus fermement contre l’“éco‑vandalisme”», formule clairement cette proposition de loi qui modifierait entre autres le code pénal pour «fixer une amende de la valeur du bien dégradé», peut-on lire dans la proposition de loi.
La députée du Vaucluse Catherine Jaouen préfère quant à elle rester en terrain connu : le Festival d’Avignon, qu’elle a le «plaisir d’accueillir» dans sa circonscription. A plusieurs reprises, s’adressant d’abord à Christopher Miles, le directeur général de la création artistique au ministère, puis directement à Rachida Dati lors de son audition, elle pointe l’opacité du festival, le terrible manque de transparence. «Il est difficile de savoir où part l’argent et qui en bénéficie», avant d’évoquer le scandale provoqué par Carte noire nommée désir – la pièce de Rébecca Chaillon qui mettait en scène des corps racisés avait déclenché des réactions parfois violentes et racistes dans la salle, et le relais dans la foulée de bribes et d’images par la fachosphère, donnant finalement lieu à une plainte déposée contre X le 29 novembre). «L’argent public a-t-il été employé pour financer cette pièce ?»interroge Catherine Jaouen. «Je me tiens à la disposition de la parlementaire pour lui faire parvenir tous les bilans», a sobrement répondu Christopher Miles, avant de rappeler : «Je voudrais souligner que les financements publics qui ont été apportés à la compagnie ne préjugent pas du contenu de ce spectacle. Je vous le rappelle, l’article 1er de la loi stipule que la création est libre.»
Audiovisuel public
C’est l’une des premières promesses électorales avancées par le RN dès l’annonce de la dissolution. S’il accède au pouvoir, le parti d’extrême droite privatisera l’audiovisuel public, avance Sébastien Chenu, vice-président du mouvement, sur BFM TV le 10 juin. Rien de surprenant pour qui a suivi les prises de paroles des députés RN à l’Assemblée, lesquels n’ont jamais fait mystère de ce souhait, entre privatisation pure et simple, demandes répétées de plafonnement des revenus publicitaires du service public et dénonciations des montants engagés chaque année à cet endroit par l’Etat.
«Nous défendons depuis toujours la privatisation de l’audiovisuel public, à l’exception de l’audiovisuel extérieur des Outre-mer, d’Arte et de l’INA transféré au ministère de la Culture», détaillait le 14 mai le député RN de l’Oise Philippe Ballard, ancien journaliste passé par France Info, RTL et LCI (de 1994 à 2021). La privatisation, selon lui, «permettrait...