Une plainte a été déposée pour agression sexuelle au sein du collectif, qui promeut l’égalité des hommes et des femmes dans le cinéma. L’administratrice mise en cause conteste les faits et s’est mise en retrait. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris.
Que faire lorsqu’une association est confrontée en son sein à ce contre quoi elle lutte quotidiennement – combat qui est l’une des raisons d’être de son existence ? Quelles résolutions prendre ? Le collectif 50/50 a été créé en 2018 par des professionnelles du cinéma à l’initiative de l’association féministe Le deuxième regard (deux exportatrices de films et une productrice) afin de promouvoir l’égalité des hommes et des femmes dans le cinéma mais aussi pour lutter contre les stéréotypes, discriminations et les violences faites aux femmes dans un milieu qui s’en accommode fort bien. Il traverse une tempête comme il n’en a jamais connu.
A l’ordre du jour de l’assemblée générale qui s’est tenue samedi, la présentation des comptes, mais aussi le dévoilement d’une sombre histoire restée jusqu’alors sous silence et que la majorité des 1700 adhérents ignorait. Il s’agit d’une agression sexuelle qui aurait eu lieu après un dîner informel le 11 mars chez l’un des administrateurs du collectif. La personne mise en cause appartient également au conseil d’administration, tandis que la victime et invitée au dîner est une adhérente. Une plainte a été déposée à l’issue de l’agression, qui, selon nos informations, a débouché sur une garde à vue de quarante-huit heures. Le parquet de Paris a ouvert une enquête. L’administratrice accusée, qui conteste fermement les faits, s’est mise immédiatement en retrait et a été suspendue de toutes ses activités dans le collectif.
«On est sous le choc»
«On est complètement secoués, sous le choc, ébahis, souligne une membre présente lors de l’assemblée générale. Samedi, le seul point d’accord fondamental a semblé être de ne pas livrer les noms de la personne mise en cause et de la plaignante, ni d’expliquer de quels faits il s’agit. Si bien qu’on ne savait pas exactement de quoi on parlait. Dans l’émotion, de vives dissensions sont apparues sur l’analyse de la situation, la marche à suivre, et j’ai eu l’impression de voir 50 /50 imploser sous mes yeux. On est tous et toutes accablé(e)s. Certaines pleuraient.» Selon notre interlocutrice, la crise devrait avoir le mérite de remettre en cause un fonctionnement qu’elle révèle et une mise à plat. «Comme partout ailleurs, le pouvoir génère ou a généré des abus de pouvoir et le gonflement de certains ego. Il faut espérer que cette crise ouvre à nouveau sur une parole collective.»
Dans l’immédiat, la rédaction d’un règlement interne est en cours. Plusieurs hypothèses ont été débattues. Certaines jugeaient qu’il fallait dissoudre le collectif afin de mieux le faire renaître et le refonder. Cette option radicale, jugée suicidaire, n’a pas été retenue. Il a été également question de dissoudre la totalité du conseil d’administration tandis que la plupart des membres a jugé au contraire qu’il leur était nécessaire pour l’instant de poursuivre leur mandat afin d’assurer la continuité des travaux en cours et faire face collectivement à la crise. Dans ce contexte, six administratrices avaient déjà choisi de présenter leur démission. Parmi elles, deux des présidentes actuelles et cofondatrices de 50/50 et la trésorière. «Sans nouvelles élections du conseil d’administration, toutes les actions prévues devraient être annulées», explique une des frondeuses démissionnaires. Il est donc urgent de convoquer une AG exceptionnelle avant l’ouverture du Festival de Cannes le 17 mai.
Dans un mail adressé aux adhérents, les démissionnaires frondeuses expliquent qu’elles ont choisi de démissionner car elles ne peuvent cautionner «ce qui s’apparentait pour nous à du double langage : prôner la transparence et l’exemplarité auprès des pouvoirs publics et l’ensemble de la profession, mais ne pas s’appliquer à nous-mêmes ces principes dans une situation qui pourtant l’exige sans la moindre ambiguïté». Autres problèmes qui auraient dû selon elles mener à une dissolution collective du CA, les conflits d’intérêts, certains des membres étant proches de l’accusée, et d’autres de la victime. Elles ajoutent : «Comment éviter des attitudes de domination toxique au sein d’un collectif féministe anti raciste ? Nous nous retrouvons dans une situation emblématique des conflits qui traversent les institutions et les lieux de pouvoir. Prenons-le comme une opportunité de repenser nous-mêmes les mécanismes qui déchirent les groupes. Pendant quatre ans, nous avons fait signer des chartes à de multiples institutions, c’est le moment d’écrire ensemble notre charte, ainsi qu’un règlement intérieur.»
Chantiers et réussites
Depuis 2018, 50/50 compte parmi ses membres des cinéastes aussi emblématiques que Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Jacques Audiard, Agnès Jaoui, l’agente Elisabeth Tanner, les productrices Marie-Ange Luciani, Judith Nora, Bénédicte Couvreur, Julie Gayet, les actrices et acteurs Adèle Haenel, Léa Seydoux, Aïssa Maïga, Pierre Deladonchamps. Il organise chaque année des Assises pour la parité, l’égalité et la diversité avec le CNC et le ministère de la Culture et il était en 2020 à l’initiative des Etats généraux contre le harcèlement et les violences sexuelles. Les chantiers et réussites de 50/50 sont innombrables. Le collectif est parvenu à changer concrètement en très peu d’années des pratiques et le visage du cinéma, sinon international du moins français. Données chiffrées et statistiques obligatoires, exigence de parité dans les équipes techniques – de tels films recevant ainsi un bonus financier de la part du CNC – mais aussi parmi les membres des jurys, signatures de chartes par les plus gros festivals français et internationaux, et plus récemment la mise en place d’une formation obligatoire des producteurs et productrices confrontés à des violences sexuelles dans leurs équipes : les avancées sont sur tous les fronts.
Depuis 2018 et une montée des marches en fanfare et remarquée...
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