Au centre culturel du nord de Paris, les salariés se mobilisent et dénoncent des salaires trop bas, des journées de travail à rallonge et un management autoritaire. La direction, de son côté, rejette l’idée d’une «surchauffe permanente».
C’est une «grève surprise» comme il en existe rarement. Elle n’a été annoncée qu’une poignée d’heures avant d’être effective, le 31 janvier dernier. Fait rare : la grève n’est pas portée par des syndicats, elle émerge tous azimuts, et les grévistes demandent qu’on les excuse de ne pas être très «professionnels». C’est quasiment leur première grève, même pour les quelques rares qui ont participé à l’ouverture du CentQuatre en octobre 2008.
«Il y a une boulimie d’activité»
La grève a d’abord émané d’un certain nombre de techniciens salariés et intermittents du CentQuatre, avant de s’étendre, une semaine plus tard, à toutes les catégories de personnel et à tous les métiers, des ressources humaines à la billetterie, en passant par la production, la médiation culturelle, sans pour autant paralyser complètement l’activité du réjouissant centre culturel du nord de Paris, à l’offre toujours foisonnante et pléthorique, et à l’espace continuellement partagé et vivifié par ses visiteurs eux-mêmes. Nul ne le conteste : en termes d’offres et de fréquentation, d’implications dans le quartier, le CentQuatre dirigé par José-Manuel Gonçalvès est une réussite. Du sous-sol au grenier, en passant par les salles de répétition, la totalité des anciennes pompes funèbres de Paris est le plus souvent sollicitée et son ouverture au tout-venant a métamorphosé le quartier.
Si l’on observe les conditions de travail, les titres de gloires sont moins aisés à promulguer : salaires plus bas que dans les autres lieux culturels comparables, journées de travail «à rallonge» liées justement à la profusion de l’offre, management décrit comme autoritaire et parfois «terrorisant» au point que le plus grand nombre des grévistes rencontrés oubliant que la grève est un droit, préfèrent être cités sous anonymat par crainte de représailles, et outils de travail obsolètes – «même les ressources humaines n’ont pas les bons outils pour faire autant de fiches de paie», remarque Nicolas Djaal, présent depuis l’ouverture du lieu.
Depuis septembre, le report des spectacles après deux ans d’annulation a provoqué une cocotte-minute de créations et de représentations supplémentaires, qui a ébouillanté l’ensemble du personnel. Les grévistes comme la direction estime à 25 à 30 % l’augmentation du volume d’activités sans que les embauches aient suivi. «Il y a une boulimie d’activité. On n’arrive pas à tenir. On n’en a marre de voir nos collègues quitter prématurément leur poste, se mettre en congé maladie. Ce n’est pas normal de voir des stagiaires occuper au bout de quinze jours de formation l’équivalent d’un poste à temps plein et indemnisé misérablement. Dans certains services, comme celui de la communication, le taux de turn-over est énorme. En même temps que des augmentations salariales, on veut obtenir une véritable mise en plat des manières de travailler.» explique Yvanne Bissac, régisseuse générale, parmi les plus anciennes salariées. La Tannerie, le premier roman de Celia Levy, une ancienne du CentQuatre, paru il y a un an chez Tristram, peut offrir un point de vue éloquent du fonctionnement.
«Un lieu infini d’art»
Le directeur du lieu depuis 2010, José-Manuel Gonçalvès, en convient aisément : «C’est intense, et il est indéniable qu’on a mal mesuré l’impact de la sortie du Covid. On a été pris par cette générosité à l’égard de ceux pour qui on exerce ce métier : les artistes.» La direction a également admis que les salaires horaires des intermittents étaient trop bas et accepté d’ouvrir des négociations sur la rémunération des intermittents comme sur celle des salariés, qui devraient aboutir à une augmentation de deux euros par heure pour les intermittents ainsi qu’une revalorisation conséquente du salaire des employés-ouvriers. En revanche, Gonçalvès réfute la thèse que l’activité dépasse les moyens du centre, «car, non, ils ont été réajustés, mais la saison 21-22 est moins dense que celle en 18-19. Simplement, il y a un pic en ce moment. En mai et en juin, en revanche, ce sera un petit peu pauvre.»
Le turn-over des employés lui paraît lié à la jeunesse de certains membres de l’équipe, qui progressent dans leur carrière après avoir été formés dans l’établissement...
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