Après le Lavoir moderne parisien et La Flèche d’or, la Ville envisage de mettre la main sur le cinéma La Clef. Voire sur le Bataclan.
Promesse tenue. Durant la longue campagne des municipales, l’équipe de la maire socialiste sortante Anne Hidalgo avait assuré que, en cas de réélection, elle n’hésiterait plus à prendre le contrôle de certains lieux culturels menacés, afin de les protéger. Le scrutin à peine passé, deux opérations de ce type viennent d’être lancées pour préserver de petites salles chargées d’histoire, le Lavoir moderne parisien (18e arrondissement) et La Flèche d’or (20e).
D’autres devraient suivre. D’autant que la crise sanitaire, très violente pour le secteur de la culture, risque de mettre en péril des lieux déjà fragiles, et d’inciter les propriétaires de certains murs à céder leurs biens pour profiter des prix record de l’immobilier parisien. « On ne pourra sans doute pas accéder à toutes les demandes, mais la période se prête à ce type d’actions », confirme Carine Rolland, la nouvelle adjointe chargée de la culture.
Dans l’accord conclu entre les deux tours entre les différentes composantes de la majorité, en particulier les socialistes et les écologistes, une ligne de 50 millions d’euros a été prévue pour les acquisitions de lieux culturels indépendants au cours des six prochaines années. Après les deux opérations inaugurales, « la prochaine pourrait concerner le cinéma La Clef », dans le 5e arrondissement, glisse Frédéric Hocquard, de Génération.s, aujourd’hui adjoint au tourisme après avoir suivi plusieurs de ces dossiers.
« Un motif d’intérêt général »
La Clef, une vieille salle du Quartier latin, est typique des sites auxquels la majorité rose-rouge-verte au pouvoir à Paris envisage d’apporter son aide. Ouvert en 1969, en pleine ébullition post-68, le cinéma d’art et d’essai a été vendu en 1981 au comité d’entreprise de la Caisse d’épargne. Durant des décennies, il a accueilli des projections, des rencontres et des débats. Jusqu’au jour d’avril 2018 où le propriétaire a annoncé la dernière séance.
Depuis, pourtant, La Clef n’a pas disparu. Des cinéphiles acharnés occupent illégalement le lieu et continuent de projeter des films tous les jours. Y compris, durant le confinement, sur les murs du quartier. « Le droit compte peu quand il s’agit de la survie d’un cinéma, le seul et dernier cinéma associatif de Paris ! », plaident ces militants.
Menacés d’expulsion, condamnés par la justice à 4 000 euros d’amende et 350 euros d’astreinte par jour, ils ont fait appel. L’audience est prévue le 21 septembre. « D’ici là, on prépare une rentrée explosive, en invitant de grands cinéastes », promet Derek Woolfenden, l’animateur de cette rébellion culturelle. L’association a obtenu une oreille attentive à l’hôtel de ville. Reste à trouver un terrain d’entente avec le propriétaire, une solution technique (achat par la Mairie, création d’une société coopérative, préemption…), et un projet culturel précis. Sinon, l’opposition risque de hurler.
Outre son coût, l’achat par la Ville de lieux culturels privés pose en effet un problème de fond : est-elle mieux placée qu’un autre propriétaire pour s’en occuper ? « La préemption est une arme lourde, à manier avec précaution, souligne Carine Rolland. Nous ne pouvons pas intervenir de droit divin. Il faut un motif d’intérêt général, par exemple pour préserver des activités culturelles qui le méritent. » Pour un cinéma comme La Clef, agir implique pour la Mairie de démontrer que, en cas de fermeture, certains films ne seraient plus visibles. « Compte tenu du nombre et de la variété des salles à Paris, la preuve ne sera pas facile à apporter », anticipe un autre adjoint d’Anne Hidalgo.
En outre, les pouvoirs publics disposent déjà d’un moyen plus simple quand ils veulent empêcher un propriétaire de fermer un cinéma ou un théâtre pour y mettre des bureaux ou des logements : une ordonnance de 1945 interdit tout changement d’affectation d’une salle de spectacle sans l’autorisation du ministère de la culture.
Paris a déjà eu recours à cette ordonnance pour protéger le Lavoir moderne parisien, mais la Mairie a décidé, cette fois-ci, de...
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