Cinq mois après le déconfinement, l'incertitude et les mesures sanitaires freinent la reprise dans le secteur du spectacle vivant musical.
"De l’activité, ça je peux vous dire qu’on en a ! Quand on doit annuler des concerts, il faut des gens pour le faire et pour rembourser le public… Mais ça ne nous rapporte rien". Thierry Langlois est "tourneur" ou producteur de tournées : il produit et organise les tournées d'artistes. Comme beaucoup de ses confrères, le directeur d’Uni-T, également délégué du syndicat Prodiss, a dû mettre ses spectacles en pause. "Une grosse majorité des concerts prévus à l’automne ont été reportés ou annulés une bonne fois pour toutes", souffle-t-il. Globalement, le Prodiss estime que 76 % des dates de concert prévues entre septembre et décembre 2020 ont déjà subi le même sort. "Nous sommes toujours confinés", estime Olivier Darbois, président du Prodiss et directeur de la société de production Corida (Catherine Ringer, Christine & The Queens, PNL...), qui a également redéployé ses tournées sur 2021.
Concerts debout interdits
En théorie, les salles de spectacle sont pourtant autorisées à rouvrir depuis juin dernier et avec une jauge limitée à 5 000 personnes. Dans la pratique, les conditions d’accueil des spectateurs freinent la reprise des tournées. D'abord parce que le public doit être obligatoirement assis, alors que le spectacle à jauge debout représente 50% de l’activité du secteur. Certaines salles ne sont tout simplement pas équipées pour. C’est le cas du Trabendo, à Paris, toujours portes closes. "La situation est déprimante, on est fermés depuis le mois de mars", avance son cogérant, Alexis Bernier.
"Il y a aussi un aspect culturel", ajoute Cyrille Bonin, directeur du Transbordeur (Villeurbanne) et membre du comité salles du Prodiss. "Le Transbordeur est une salle de musiques actuelles, avec du hard-rock, du métal, du hip-hop... Les spectateurs sont debout, les uns sur les autres, en sueur. Je ne suis pas sûr que faire un concert avec de la distanciation sociale ait un intérêt". "Sur certains styles musicaux, faire un concert debout est aussi important que d’avoir un bon système son ou un bon éclairage", confirme Thierry Langlois.
Le casse-tête des zones
Ensuite, la situation n'est pas la même dans tous les départements. Les mesures de distanciation physique dans les zones rouges, dites "de circulation active du virus" (55 départements au 21 septembre), obligeraient les salles à accueillir des spectacles à jauge réduite. Problème, cela signifierait fonctionner à perte : "Les jauges imposées en zone rouge ne nous permettent pas la tenue d'un concert d'un point de vue économique", avance Thierry Langlois.
Dans ce cas, pourquoi ne pas sauver quelques spectacles en zone verte ? Pas si facile, nous expliquent les producteurs. "Quand on crée un spectacle, on lisse les coûts de production sur l’ensemble des dates de la tournée", développe le patron d'Uni-T. Quelques concerts annulés menacent ainsi le financement de la tournée entière. "Cela fait des cassures dans la tournée et ce sont des coûts qu’on ne peut plus supporter", détaille-t-il.
D’autant que l’instabilité de la situation sanitaire, et la possibilité qu'un département passe subitement en zone rouge, augmente le risque chez les producteurs. "On n’est pas à l’abri qu’un préfet interdise au dernier moment tous les rassemblements parce que la situation se dégrade sur son territoire", ajoute Thierry Langlois, "ce qu’on dit un jour n’est pas la vérité du lendemain." "Économiquement", abonde Olivier Darbois, "il est devenu trop risqué de prendre des risques".
"Financièrement, c’est le cauchemar"
Uni-T essaie en ce moment de "sauver" la tournée de Pomme, voix montante de la chanson française, "stoppée net" en mars. Elle devrait redémarrer en octobre, avec des concerts debout reconfigurés en assis, et de grosses dates, comme l'Olympia, qui pourraient être scindées en deux. Le Trabendo, de son côté, a accueilli cet été des petits concerts sur une terrasse sous-louée. "Mais ça ne rapporte rien du tout, dans les 300 euros par soirée, c’est une goutte d’eau", lance le codirecteur de la salle.
"Financièrement, c’est le cauchemar", confie Thierry Langlois. "Zéro rentrée d’argent depuis mars, avec une entreprise de 10 salariés, le loyer et des frais qu’il faut payer", calcule-t-il. Après six mois d’arrêt, des spectateurs à rembourser et des dates qui continuent de s’annuler, la facture est lourde pour l'ensemble du secteur, estimée par le Prodiss à 176 millions d’euros de pertes en 2020.
200 millions d'euros pour 2021 et 2022
Pour répondre à la crise, le gouvernement a promis que 200 millions d’euros du plan de relance iront à "la filière musicale dans son ensemble (spectacles et concerts, musique enregistrée, ect…)". Cette somme sera confiée au Centre National de la Musique (CNM), chargé de la répartition."C’est le grand espoir pour sauver les entreprises du secteur de la casse de 2020", souligne Olivier Darbois. "Mais il faut que cet argent soit distribué aux bons acteurs au bon moment", estime le président du Prodiss alors que le syndicat milite pour que l’ensemble de l’enveloppe soit attribuée sur 2021.
Le plan de relance devra d’abord être voté au Parlement, dans le cadre de la future loi de finances 2021. Sur l’enveloppe, 170 millions devraient être débloqués pour...
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