Un appel au secours sur les réseaux sociaux, une tribune et une lettre ouverte… Le monde de l’art crie son indignation devant l’impossibilité d’accueillir le public. Et plaide pour un retour en grâce.
«La dernière fois qu’on a vu foule ici, c’était au XIIIe siècle, et depuis les distances sont largement respectées.» Accompagnée du slogan #AuSecoursRouvrezNous, la phrase barre une photo de l’abbaye de Fontenay - un de ces milliers de monuments totalement à l’arrêt depuis le 1er novembre. Lancée sur les réseaux sociaux il y a deux jours par le collectif Patrimoine 2.0, cette campagne au ton léger se décline dans plusieurs lieux, avec à chaque fois un trait d’humour («Va-t-on être obligé de vendre de la brioche dans les châteaux pour pouvoir les rouvrir au public?», etc.). «Nous avons eu envie d’attirer l’œil, de manière décalée, sur la situation dramatique que les monuments sont en train de vivre», explique Julien Marquis, fondateur de Chasseur de châteaux, un des membres de ce collectif qui sait toujours capter l’air du temps.
Ne voyant plus le bout du tunnel, aiguillonnés par les exemples de l’Italie, de la Belgique, du Luxembourg ou de l’Espagne - quatre pays qui ont autorisé tout ou partie de leurs musées à rouvrir -, de plus en plus de personnalités de la culture et de l’art plaident pour un retour en grâce de leur établissement. «Pourquoi maintenir les musées fermés si l’on n’y mange pas, n’y boit pas, n’y fume pas, n’y touche rien, si l’on n’y parle peu et si l’on s’y croise à peine?», s’interrogent ainsi les signataires (parmi lesquels Stéphane Bern, Carla Bruni-Sarkozy, Jean-Charles de Castelbajac ou le philosophe Luc Ferry) d’une tribune parue dans Le Monde à l’initiative de la journaliste Florence Belkacem. «Nous demandons qu’il soit mis fin à ce statu quo mortifère qui attaque de façon insidieuse notre santé mentale et que les lieux patrimoniaux accueillent de nouveau du public. Et ce, dès le mois de février, car croire que ce qui était supportable en 2020 le sera encore en 2021, est illusoire.»
À peine publiée, la tribune a été suivie d’une lettre ouverte à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. «Laissez-nous ouvrir nos portes pour une heure, un jour, une semaine, un mois, même si nous devions les refermer en cas de nouveau confinement, ou de renforcement de mesures sanitaires», peut-on lire dans cet autre texte signé par plusieurs centaines de responsables de centres d’art, de musées ou de monuments.
«Ce cri d’alarme s’est imposé comme une évidence, en ce début d’année où nous n’avons aucune perspective», explique l’instigatrice de la lettre, Emma Lavigne, présidente du Palais de Tokyo, à Paris. «J’ai pris mon téléphone et j’ai essayé de convaincre mes homologues que nous avions peut-être été trop discrets jusque-là», poursuit-elle. La nuit a été longue pour Emma Lavigne, mais le résultat est là. La pétition qui accompagne la lettre ouverte est déjà signée par 3300 personnes, chiffre qui croît chaque heure.
Les plus chafouins noteront qu’ils manquent bien des noms dans ces deux prises de position publiques, dont ceux des patrons des vaisseaux amiraux comme Le Louvre, le Centre Pompidou ou le Musée d’Orsay. «Par tradition, je ne signe en général pas les pétitions, ce qui ne veut pas dire que je suis opposé à ce qu’elles proposent», avance le directeur d’un grand musée, tandis qu’une autre admet avoir été tenue par la réserve due aux hauts fonctionnaires. Les directeurs des musées de la Ville de Paris qui se sont engagés publiquement l’ont d’ailleurs fait avec le plein et entier soutien de leur tutelle - pas mécontente de souligner « la gestion catastrophique de la crise sanitaire par Emmanuel Macron».
Laisser les étudiants ou les scolaires revenir dans les musées
Alors que le variant anglais du virus est en train de progresser inexorablement, et que les vaccins sont toujours rares en France, certains n’ont par ailleurs pas voulu participer au mouvement, qu’ils jugeaient inopportun, voire peu collectif. Qu’importe, signées ou pas, les deux pétitions mettent le doigt sur une situation qui ne peut pas durer éternellement. «Les gens ont besoin d’air, les artistes ont besoin de créer, et les centres d’art ou les monuments sont au moins aussi sûrs que les grands magasins», affirme encore Emma Lavigne, qui suggère que l’on laisse «au moins, dans un premier temps, les étudiants ou les scolaires revenir dans les musées».
Tous les signataires se disent conscients de la crise sanitaire, et mettent en avant leur capacité à gérer les flux de visiteurs, à travers des préréservations. Et soulignent, en privé, l’iniquité de leur situation. «Nous sommes fermés depuis trois mois, et sans doute durablement. Pendant ce temps-là, les magasins sont pleins à craquer. Ce qui nous renvoie à la notion de ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas», explique Gérard Audinet, directeur de la Maison de Victor Hugo, à Paris.
Jusque-là, Roselyne Bachelot, qui est tenue par les Conseils de défense et les déclarations du premier ministre, a préféré garder un silence prudent sur ces deux lettres ouvertes. Depuis novembre, elle répétait volontiers que la France n’était pas isolée, et que toute l’Europe de la culture était sous cloche. Depuis elle a été démentie par les faits, ce qui n’a pas échappé à Florence Belkacem: «Il n’y a aucune fatalité sanitaire à la fermeture des musées en Europe», souligne cette dernière.
À l’Élysée, où les...
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