La chercheuse spécialisée en analyse des professions culturelles interroge, dans un entretien au « Monde », l’évolution du théâtre public et la perte de sa vocation sociale.
Sociohistorienne, Marjorie Glas vient de publier Quand l’art chasse le populaire. Socio-histoire du théâtre public depuis 1945 (Agone, « L’Ordre des choses », 384 pages, 22 euros). Fruit d’une thèse menée à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) sous la direction de l’historien Gérard Noiriel, cet ouvrage interroge la place accordée, au fil des décennies de développement des institutions théâtrales, aux différents publics, et notamment à celui des classes populaires. Ou comment l’idéal d’un théâtre public à vocation sociale, outil essentiel de la démocratisation culturelle, s’est heurté à une opposition entre innovation esthétique et animation culturelle.
Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à l’évolution du théâtre public depuis 1945 ?
C’est un moteur personnel. Au fur et à mesure de ma professionnalisation, je me suis retrouvée prise entre l’idéal d’un théâtre qui pourrait changer le monde et la réalité du secteur. Les enjeux pour une compagnie sont, avant tout, d’avoir des programmateurs et un spectacle remarqué par la critique. La question « à quel public on s’adresse, combien de spectateurs on touche ? » est finalement devenue secondaire. Pour ma thèse, je me suis emparée de cette question en me centrant sur les établissements subventionnés, « labellisés », car ce sont les espaces institutionnels les plus dotés financièrement et les fers de lance de la politique culturelle théâtrale. La Déclaration de Villeurbanne du 25 mai 1968, signée par les directeurs des théâtres populaires et des maisons de la culture, était censée prendre en compte le « non-public ».
Vous dressez un constat assez sévère en montrant que la vocation sociale du théâtre public a été marginalisée ces dernières décennies. Quels sont les ressorts de cette déconnexion avec les classes populaires ?
Cette vocation sociale, un idéal de démocratisation culturelle, reste très importante dans les discours et constitue une croyance ancrée à tous les échelons. Mais toute une série de mécanismes qui se sont mis en place a marginalisé la place des publics, en particulier des publics populaires. Les logiques de consécration et d’avancée de....
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