ENQUÊTE - Fin mars-début avril, l’Accor Arena, à Paris, accueillera 5000 invités et le Dôme, à Marseille, 2000 personnes. Une façon pour les grandes salles et les festivals de tester des protocoles. Enquête sur une course contre la montre qui est autant politique qu’économique.
Cela peut paraître incroyable. Et pourtant. Si la circulation du virus le permet vers fin mars-début avril, l’Accor Arena, à Paris, la plus prestigieuse salle de concert en France fermée depuis un an, rouvrira ses portes le temps d’un soir.
Sur le parvis dûment sécurisé, 5000 spectateurs passeront les contrôles en montrant leur billet et un test PCR fait 72 heures auparavant. Ils devront avoir activé l’application TousAntiCovid. Masqué, debout en fosse, le public pourra chanter, danser, s’offrir des bières au bar. Soit la configuration la plus interdite à l’heure actuelle. Les concerts debout seront les derniers à rouvrir après les musées, les cinémas, les théâtres et les concerts assis. «Le choix de l’artiste sur scène n’est pas encore tranché, confie l’un des organisateurs, Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes de Belfort. Nous cherchons une tête d’affiche qui rassemble au moins deux générations.» Nicola Sirkis d’Indochine serait une bonne idée.
Avec ces 5000 «cobayes», ce sera le plus grand concert test fait à ce jour dans le monde. Il sera gratuit. Il faudra être volontaire et s’engager à refaire un test antigénique sept jours plus tard. «C’est avant tout une expérimentation scientifique, martèle Malika Séguineau, directrice du Prodiss, le syndicat des producteurs et des propriétaires de salles privées, à l’origine de cette initiative. Nous avons besoin de tester un concert en situation réelle pour adapter nos protocoles et être prêts le jour où les concerts avec public en fosse pourront reprendre, car nous devrons sûrement continuer à vivre avec le virus. Ce soir-là, nous allons tester le plus de choses possible, comme la gestion des flux.» L’idée lui est venue cet hiver après les concerts tests à Leipzig et à Barcelone.
«Chercher des solutions pour s’adapter»
Si le Prodiss veut son propre test, c’est que les Espagnols ont mené leur expérience avec seulement 500 spectateurs. Leurs conclusions sont inutilisables pour les grandes salles et pour les festivals. «À partir de notre test en jauge réelle, nous pourrions démontrer qu’il n’y a pas de surexposition au risque», plaide Malika Séguineau. Le sujet est sensible, il n’y a pas droit à l’erreur.
Pour sécuriser cette soirée qui nécessite de rassembler toutes sortes de compétences, Malika Séguineau n’a fait appel qu’à des organisations publiques. L’enthousiasme d’Anne Hidalgo, maire de Paris, et de son adjointe à la culture, Carine Rolland, a été décisif. «Les Parisiens ont besoin de retrouver le chemin des concerts qui sont des moments de vie, de création et de partage, estime Carine Rolland. Nous avons bien conscience que les concerts ne pourront pas reprendre d’un claquement de doigts. Le Prodiss a une démarche citoyenne. Elle est positive de bout en bout. Ces producteurs et patrons de salles veulent reprendre leur activité, ce qui est tout à fait légitime. Mais en plus, ils font œuvre commune avec les autres. Leur expérience va servir aux musées, aux cinémas et aux théâtres. C’est le bon moment pour le faire. Il y a urgence à ne plus attendre. Nous avons décidé de les aider, car ce sont des gens sérieux.»
Présidente du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Anne Hidalgo a mis en lien le Prodiss avec les médecins, il y a quinze jours. Le professeur Constance Delaugerre, virologue de l’hôpital Saint-Louis, et le professeur Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat, ont rejoint le comité de pilotage. On y trouve aussi Cédric O, secrétaire d’État en charge de l’application TousAntiCovid, Christian Bechon du groupe de protection sociale Audiens Care, des représentants du festival We Love Green, des Eurockéennes de Belfort, de Live Nation, We Love Art, Alias Production et du Centre national de la musique. Les réunions s’enchaînent au rythme de deux par semaine. L’espoir est qu’en parallèle l’AP-HP progresse rapidement dans ses recherches sur les tests salivaires. Avoir un test fiable, moins intimidant, sera une révolution. Cette découverte facilitera les protocoles sanitaires pour tous les lieux culturels. Au ministère de la Culture, Roselyne Bachelot est régulièrement mise au courant de l’avancée du projet. «Dès qu’il sera prêt, le dossier sera présenté au ministère de la Santé», explique Malika Séguineau.
Des motivations politiques
Au même moment, à Marseille, deux autres concerts tests sont prévus pour fin mars-début avril. Programmés ce mois-ci, ils ont été décalés à cause de l’épidémie exponentielle sur la Canebière. Ils auront lieu en journée sans entracte et sans buvette au Dôme devant 1000 spectateurs assis, âgés entre 20 et 40 ans, avec IAM et quatre autres artistes marseillais sur scène. Ils seront gratuits, les billets actuellement en vente étant une escroquerie. Cette équipe bis est composée des chercheurs de l’Inserm, du médecin urgentiste Vincent Estornel et d’un collectif culturel, dont Béatrice Desgranges, directrice du festival Marsatac.
Monter des concerts tests concurrents entre Paris et Marseille semble absurde. Les équipes le jurent, la bonne entente règne. «Nous sommes complémentaires avec le test qui se fera à Paris, insiste Vincent Estornel. Nos scientifiques se parlent et partagent leurs données. Nous organiserons avant l’été un congrès à Marseille où tous les travaux menés en Europe seront présentés. Chaque salle et festival pourra y puiser le protocole qui lui convient le mieux.»
À la Mairie de Paris, un proche du dossier renchérit: «Peu importe que ce soit le Dôme d’abord ou Bercy. La symbolique sera forte dans tous les cas. Si on commence au Dôme, qui est le plus petit, et que Bercy en majesté confirme les bons résultats, ce sera formidable.»
Une troisième expérience, pour l’instant interdite par le préfet des Hauts-de-Seine, aurait dû avoir lieu à La Seine musicale, le 12 février. «J’ai eu l’idée il y a quinze jours», raconte Jean-Yves de Linarès, directeur des Victoires de la musique. Le Syndicat des éditeurs de musique le met en relation avec le laboratoire californien Innova Medical Group, leader de tests antigéniques. «Je voudrais lancer quelque chose qui ferait gagner du temps en parallèle du vaccin, explique Jean-Yves de Linarès. Dans les années sida, Christophe Dechavanne cherchait des marques pour payer des préservatifs aux jeunes et avait inventé le slogan “Sortez couvert”. Moi, ce serait “Sortez testé”. Je suis sûr que si des marques de vodka, par exemple, offrent des tests, les jeunes les feront et s’isoleront si nécessaire.»
À La Seine musicale, la caution scientifique était apportée par les Américains et l’épidémiologiste médiatique Martin Blachier. Preuve de la toute-puissance des laboratoires en ces temps de pandémie, Xavier Guérin, directeur général Europe du laboratoire californien, a été reçu pendant une heure jeudi 28 janvier à l’Élysée par Rima Abdul-Malak, conseillère à la culture d’Emmanuel Macron, Florence Philbert et Julia Beurton, conseillères à la culture de Jean Castex à Matignon.
Derrière se profile un pactole. «L’objectif du laboratoire est de vendre ses tests antigéniques, dont les résultats s’affichent au bout de trois minutes, aux festivals, aux salles de spectacle, aux événements sportifs et aux compagnies aériennes», reconnaît volontiers sa communicante Nathalie Belloc. Avec un argument imparable: ils seraient les seuls à vendre une application où un QR Code couple le résultat du test avec le billet de concert. Les Américains ne sont pas les seuls à faire de l’entrisme. «Intelligence artificielle, caméras pour détecter un spectateur masqué ou pas… Toutes sortes de sociétés nous démarchent, témoigne Jean-Paul Roland depuis Belfort. Faisons les concerts tests, trouvons des solutions, puis on verra quelles sociétés seront chargées de les appliquer.»
Si le concert à Paris a lieu, les images feront le tour du monde. Un formidable coup de communication pour la capitale qui dépend tant du tourisme et des lieux culturels. Les motivations sont également politiques. Alain Rousset, président (PS) de la région Nouvelle- Aquitaine, vient de...
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