Lancée en 2021 par l’Elysée pour soutenir les artistes fragilisés par la pandémie de Covid-19, l’initiative a permis de distribuer 30 millions d’euros à 264 projets en 2022, mais elle souffre d’un manque de visibilité.
Une allégorie de l’enfermement dans le phare de Kerlédé, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) ; une dune de sable qui murmure ; des lettres en pierre naturelle mêlées aux ruines du site archéologique de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône)… Sur le papier, l’opération Mondes nouveaux, lancée au pas de charge en juin 2021 par l’Elysée pour soutenir les artistes fragilisés par la pandémie de Covid-19, est stimulante. L’Etat a voulu frapper vite et fort, avec une enveloppe de 30 millions d’euros dégagée dans le plan France Relance, répartie entre 264 projets sélectionnés par un jury de huit experts piloté par l’ancien directeur du Musée national d’art moderne, Bernard Blistène. Répartie sur les sites gérés par le Centre des monuments nationaux ou le Conservatoire du littoral, l’initiative est à la fois pluridisciplinaire, transgénérationnelle, attentive à la diversité et à la parité.
Dans sa course contre la montre, l’exécutif a pourtant oublié l’essentiel : rendre ces projets visibles au plus grand nombre. Depuis l’annonce des lauréats, en novembre 2021, rien ou presque n’a filtré des 140 œuvres qui ont déjà vu le jour. Une enveloppe de 5 millions d’euros avait pourtant été annoncée pour la communication. Seuls 500 000 euros ont été affectés finalement à la mise en place d’un site Internet très lacunaire, où les créations en cours se résument souvent à une simple note d’intention.
Pour rectifier le tir et faire taire les sceptiques, une exposition – express elle aussi –, ouverte le 11 avril, est présentée jusqu’au 16 avril à l’Ecole des beaux-arts de Paris, assortie d’un épais catalogue de 600 pages en guise de bilan. L’occasion d’un retour d’expérience de la part d’artistes qui ont accédé pour la première fois à la commande publique avec des dotations généreuses de 8 000 à 150 000 euros selon les projets, dont ils conservent la propriété.
Epreuve du réel
« Ça m’a permis de monter un projet ambitieux sans passer par des trucs administratifs compliqués », salue le jeune Thomas Teurlai, qui s’est associé à l’écrivain Alain Damasio pour une performance baptisée « Transchrones », présentée au Salin des Pesquiers, à Hyères (Var), en 2022. « Une étape importante dans mon parcours », rebondit Chloé Quenum, qui a bénéficié d’une enveloppe de 110 000 euros, « du jamais-vu ». Certes, l’artiste, qui rêvait d’une base sous-marine pour installer ses embarcations, a essuyé le silence ou les rebuffades des services culturels de la plupart des villes qu’elle a contactées. Après un tour de piste infructueux à Marseille, à Nantes et à Saint-Nazaire, elle a trouvé une écoute à Bordeaux, qui lui a donné les clés de l’hôtel de Ragueneau.
Après avoir lorgné l’abbaye du Thoronet (Var), finalement attribuée à l’artiste Julia Gault, Juliette Minchin s’est rabattue sur la nef de l’abbaye cistercienne de Beaulieu-en-Rouergue sise à Ginals (Tarn-et-Garonne). « Un vrai coup de cœur », s’enthousiasme-t-elle. Validée en mai 2022, sa très poétique installation composée de 366 bougies allumées inquiète toutefois les élus locaux, qui refusent le projet. Mais le Centre des monuments nationaux, qui gère l’édifice, ne lâche rien et, début octobre 2022, finit par décrocher l’accord de la maire de Ginals.
Entre les rêves de papier et l’épreuve du réel, il y a parfois un monde. Stéphane Thidet avait d’abord voulu installer des cabanes accessibles au public au-dessus des arbres du château de Villers-Cotterêts (Aisne), où s’ouvrira en septembre la Cité de la francophonie. Trop complexe, trop coûteux, le projet a depuis changé d’échelle, reconfiguré en une maquette monumentale qui occupera la salle d’exposition du nouveau site. Le projet de la designer Cécile Barani, qui ambitionne d’installer un ensemble de radeaux le long du littoral du cap Martin (Alpes-Maritimes), semble aussi compromis pour des raisons de sécurité.
Nouvelle enveloppe
Enthousiastes, les artistes s’épanchent rarement sur les difficultés rencontrées. Envolées, les sueurs froides de ceux qui, mal préparés, se sont soudain retrouvés avec de grosses sommes imposables sur leurs comptes. Oubliés aussi, les longs mois d’attente, les courriels sans réponse. L’artiste Laëtitia Badaut Haussmann, qui activera, fin 2023, son Pavillon des amours à Césure, un nouveau tiers-lieu parisien, ne s’appesantit pas sur les aléas. « La seule question que je me pose, glisse-t-elle, c’est plutôt : comment se fait-il qu’en quinze ans je n’aie pas eu un contexte de travail comme celui-là, sans angoisse, avec des vrais honoraires calculés, où je peux me reposer sur une équipe d’une gentillesse totale ? »
Vice-présidente de la commission culture du Sénat, Sylvie Robert, pourtant, s’interroge : « Mondes nouveaux a été financé sur le plan de relance, or les représentants du secteur que j’ai auditionnés, comme les FRAC [fonds régionaux d’art contemporain], les centres d’art et les collectifs d’artistes, n’ont constaté qu’un effet mesuré sur la relance de leur secteur. » Le sujet préoccupe d’autant plus la sénatrice socialiste d’Ille-et-Vilaine qu’un acte II de Mondes nouveaux a été inscrit dans le projet de loi de finances. Une nouvelle enveloppe de 30 millions d’euros, répartie cette fois sur trois ans, sera partagée à parité entre les arts plastiques et les spectacles vivants. « Quand on dépense autant d’argent, poursuit Sylvie Robert, il faut s’assurer de...
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