Les ventes de ce support ont dévissé de 82 % en dix ans. Et les nouvelles règles d’exploitation des films le pénalisent encore davantage.
Pour les plus cyniques, cela revient à planter le dernier clou dans le cercueil. Le marché de la vidéo, déjà en chute libre depuis une dizaine d’années, étrillé par la piraterie et ballotté, chaque jour davantage, par la concurrence farouche des plates-formes de streaming, a reçu de plein fouet une bien mauvaise nouvelle. Mise en œuvre depuis fin janvier, la dernière mouture de la chronologie des médias – l’ordre dans lequel sont exploités les films dans les différents supports après leur sortie en salles – va pénaliser encore davantage ce marché.
Les DVD, Blu-ray, 4K, en location ou à l’achat en téléchargement, pourront toujours sortir quatre mois après le jour de la première projection du film en salle, mais la vidéo ne bénéficiera plus que d’une fenêtre d’exclusivité de deux mois – contre quatre auparavant, puisque Canal+ et OCS pourront diffuser ces longs-métrages six mois (et non plus huit mois) après leur sortie. Un coup dur pour les éditeurs de vidéo, surtout les filiales des studios américains ou des chaînes de télévision qui sortent des nouveautés.
Depuis 2010, le marché de la vidéo physique, constitué à 60 % de films, chute inexorablement, année après année. Il a dévissé, selon le baromètre CNC-GfK, passant de plus de 1,4 milliard d’euros en 2010, à 245,5 millions en 2021. Soit une dégringolade de 82,4 % en une décennie. « C’est trop facile d’enterrer le physique », s’émeut Yves Elalouf, président du Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN). Il explique la baisse de 17,2 % de ce marché en 2021 par la pandémie de Covid-19 et rappelle que la vente à l’acte (achat ou location) représentait tout de même 216 millions d’euros, l’an dernier. Le marché total de la vidéo s’est établi à 461,5 millions d’euros, au total.
« On n’a rien obtenu »
« Là où nous attendions un soutien du gouvernement, on n’a rien obtenu, et la vidéo a été l’activité la plus pénalisée », regrette M. Elalouf en évoquant le dossier de la chronologie des médias. Il aurait aimé que la vidéo démarre plus tôt, trois mois après la sortie d’un film en salle. « Ce serait cohérent, dit-il, puisque 99 % des films disparaissent des écrans après douze semaines d’exploitation. Cela pose un problème de fond : ces longs-métrages “en jachère” ne sont plus visibles nulle part pendant au moins un mois, ce qui est propice à la piraterie. »
Dans les autres pays, l’exclusivité d’exploitation des films en salle dure, en général, trois mois, « voire moins, seulement quarante-cinq jours aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Espagne ou dans les pays nordiques », souligne le président du SEVN. « Nous ne voulons pas en arriver là », admet-il. Le lobby des salles pour préserver son pré carré est surtout trop puissant pour que la vidéo arrive à l’entamer. « Le combat continue », veut croire M. Elalouf, en espérant obtenir gain de cause dans un an, au moment où sera réexaminée la chronologie des médias.
En 2022, la profession s’attend encore à une baisse des ventes de 15 %. L’impact sera plus violent pour les éditeurs de films récents que pour les spécialistes du patrimoine, les nouveautés constituant 30 % des ventes. Chaque année, entre 3 000 et 4 000 titres s’ajoutent aux 75 000 références déjà disponibles dans l’Hexagone.
« Nos pires ennemis sont les fabricants d’appareils »
Le secteur s’est mobilisé pendant la pandémie. « L’Appel des 85 » a fédéré les éditeurs, qui ont, en juin 2020, demandé au gouvernement à la fois « un plan de sauvegarde » et « un plan de relance ». Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a débloqué, en 2020, exceptionnellement 0,8 million d’euros, qui se sont ajoutés aux aides habituellement attribuées aux éditeurs de vidéo physique (4,4 millions d’euros).
Signe des temps ? A la tête de The Jokers, Manuel Chiche, l’heureux distributeur de Parasite, du Sud-Coréen Bong Joon-ho, la Palme d’or 2019 à Cannes, vue en salle par plus de 2 millions de spectateurs (et dont les DVD se sont écoulés à plus de 140 000 exemplaires), a voulu offrir un DVD à une jeune réalisatrice. Une belle réédition de In the Mood for Love (2000), du Hongkongais Wong Kar-wai. « Je n’ai plus de lecteur DVD », lui a-t-elle rétorqué… Elle n’est pas la seule. « Beaucoup de gens pensent que nos pires ennemis sont les plates-formes de streaming et la piraterie, ce sont, en fait, les fabricants d’appareils. Les lecteurs de DVD ont disparu des salons et, surtout, ils ont été retirés des ordinateurs », se désole son confrère Nils Bouaziz, fondateur et gérant de Potemkine.
« Tous les Français n’ont pas la fibre ni un abonnement à une plate-forme », rappelle toutefois Hugues Peysson, à la tête d’Atelier d’images. Ce qui laisse un public potentiel important à la vidéo physique. Et puis, un film en DVD sera toujours disponible sur son étagère, ce qui n’est pas le cas sur Netflix. Bien moins optimiste, Manuel Chiche lance, désabusé : « Les DVD, ça n’intéresse plus que les cinéphiles psychopathes ou les vieux comme moi ! » A ses yeux, les amateurs de films n’ont plus le réflexe de fouiller dans leur vidéothèque, « mais scrollent pendant des heures sur des plates-formes pour en trouver un ».
« Un choix de feignant, effectué souvent par dépit »
« Le pouvoir pris par les écrans pose une question de société : regarder un film sur un support physique reste un acte volontaire, mais sur les plates-formes de streaming, c’est un choix de feignant, effectué souvent par dépit », déclare M. Chiche. Mais c’est un choix qui séduit massivement et à vive allure, puisque les plates-formes de streaming par abonnement représentaient déjà, en 2020, 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans l’Hexagone. Presque autant que la vidéo physique, dix ans plus tôt.
Margot Abattu, directrice adjointe vidéo et développement chez Pathé Films, renchérit : « Dans l’esprit du consommateur, les plates-formes faussent la valeur des films : il est difficile de proposer un film à 14,99 euros ou 19,99 euros en DVD Blu-ray, alors que les abonnés [qui paient Netflix 13,99 euros par mois pour être connectés sur deux écrans] ont l’impression d’avoir accès pour presque rien, et de façon illimitée, à un catalogue de longs-métrages sur les plates-formes. » Sans compter, dit-elle, que la piraterie reste très développée et tend à répandre l’idée que les films peuvent être gratuits. Nathalie Graumann, directrice de la vidéo et du numérique chez SND, filiale de M6, estime d’ailleurs que « ce qui fragilise sérieusement le marché vidéo à l’acte, ce ne sont pas tant les plates-formes de streaming, mais plutôt le piratage ».
Le salut viendrait-il de l’attrait de la possession physique ? Dominique Vignet, qui a repris les Editions Montparnasse, placées sous procédure de sauvegarde en 2017, assure que sa « clientèle, précisément pour se démarquer des plates-formes, a besoin d’avoir un objet physique, un peu comme les vinyles ou les CD dans la musique ». La vidéo devient ainsi progressivement, comme les vinyles, un marché de niche. Un métier d’artisans, voire de résistants, qui prônent une qualité exceptionnelle, à la fois en images restaurées, en son, tout en apportant des bonus très soignés, voire en ajoutant un livre sur le film. « Il n’est pas envisageable de sortir un DVD de film de patrimoine sans contenus complémentaires (archives, documentaires, entretiens d’experts ou de l’équipe du film…) », admet Margot Abattu.
« Acte de militantisme »
Bon nombre d’éditeurs, comme Carlotta, Potemkine, Wild Side, The Jokers, L’Atelier d’images ou Spectrum, jouent cette carte du très haut de gamme, en offrant des objets désirables pour les amateurs. Comme La Chair et le sang (1985), de Paul Verhoeven, que Carlotta a mis en vente à 50 euros, le 19 avril, avec, outre le long-métrage, des entretiens avec le réalisateur, le scénariste Gerard Soeteman, le compositeur Basil Poledouris et un important ouvrage inédit sur le tournage, signé par Olivier Père.
Malgré quelques jolis coups commerciaux, la filière ne roule pas sur l’or. Loin s’en faut. « C’est beaucoup d’efforts pour le mal qu’on se donne, on peine généralement à toucher le point mort à chaque DVD », admet Manuel Chiche. The Jokers en sort 25 par an. « Les petites structures commercialisent, en général, de 30 à 40 DVD ou Blu-ray par an », témoigne Hugues Peysson. En pariant sur une exploitation dans la durée. Mais arriver à vendre 5 000 exemplaires d’un DVD devient aujourd’hui un très beau résultat. « Habituellement, le pressage s’effectue sur 2 000 exemplaires », précise Nils Bouaziz.
Les majors hollywoodiennes restent encore dans la course...
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