Le 24 juin, la salle Richelieu accueillera, pour la première fois, la finale nationale de la douzième édition du Trophée d’impro Culture & Diversité.
Alain Degois est aux anges. Le 24 juin, l’improvisation théâtrale, à laquelle ce metteur en scène a consacré une très large partie de sa vie professionnelle, aura les honneurs de la Comédie-Française. Ce jour-là, la salle Richelieu accueillera, pour la première fois, la finale nationale de la douzième édition du Trophée d’impro Culture & Diversité. Soit, sur scène, soixante-six collégiens représentant onze équipes régionales venues de toute la France, qui improviseront avec l’aide de leur coach des saynètes à la manière de Molière (célébration des 400 ans de sa naissance oblige), sous le regard d’un arbitre. Et, dans la salle, beaucoup de jeunes ayant participé aux sélections se retrouveront pour soutenir les finalistes. La journée se clôturera par un match de gala qui verra se rencontrer des collégiens, quelques comédiens de la Comédie-Française qui se prêteront au jeu et des invités, parmi lesquels Jamel Debbouze.
L’humoriste doit tout à l’improvisation théâtrale. C’est à Trappes, dans cette commune des Yvelines où il a grandi, que Jamel Debbouze a fait ses premiers pas sur scène, grâce aux ateliers d’impro organisés dans les collèges par la compagnie Déclic Théâtre, d’Alain Degois. Celui que tout le monde surnomme « Papy » Degois, en référence à son don d’imitation pour le Papy Mougeot de Coluche, a, pendant vingt ans, initié des milliers de collégiens à cette pratique et déniché le talent de Jamel Debbouze, mais aussi de Sophia Aram, Arnaud Tsamere ou encore Issa Doumbia. Il a transmis les clés de Déclic Théâtre en 2014, et multiplie depuis les mises en scène d’humoristes (Blanche Gardin, Bun Hay Mean, Marc Fraize, etc.), mais n’a pas renoncé à défendre l’impro.
Ambiance exaltée
« Avoir accès à la scène de la Comédie-Française, c’est une des reconnaissances qui me touchent le plus, déclare Alain Degois. Alors que les institutions culturelles m’ont toujours renvoyé que je faisais du social, de l’animation, du divertissement, l’improvisation devient une discipline à part entière du théâtre. » Il ajoute, avec la jovialité qui ne le quitte jamais : « C’est la première fois en quatre cents ans que des textes non validés par le comité de lecture vont être joués à la Comédie-Française. »
Douze ans déjà que lui et Jamel Debbouze, grâce à sa notoriété, ont convaincu la Fondation Culture & Diversité – créée par le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière pour favoriser l’accès aux arts et à la culture des jeunes issus de milieux modestes – de soutenir l’improvisation théâtrale. Désormais, une trentaine de compagnies présentes dans une centaine de collèges, majoritairement de quartiers sensibles, forment plus de 1 400 jeunes à cette pratique artistique.
Alain Degois est entré par la petite porte de la Comédie-Française en 2017. Depuis cette date, il y assure des ateliers de formation professionnelle, notamment à l’attention d’enseignants de l’académie de Paris et de comédiens coachs du Trophée d’impro. Comme le dit Eric Ruf, l’administrateur du Français, « entre Jamel Debbouze et nous, il y a un point commun : Papy ». Accompagné d’Anne Marret et de Marine Jubin, respectivement secrétaire générale et responsable du service éducatif de la Comédie-Française, Eric Ruf s’est rendu, mardi 10 mai, à Trappes.
Tous trois ont assisté à leur première finale régionale (Ile-de-France - Normandie) du Trophée d’impro et ont ainsi eu un avant-goût de ce qui se passera salle Richelieu. Vingt-quatre collégiens et collégiennes représentant quatre équipes (Paris, Caen, Hauts-de-Seine, Trappes) se sont affrontés dans une ambiance exaltée, sous le regard de leur coach, d’une maîtresse de cérémonie, d’un DJ pour chauffer la salle et d’un arbitre pour siffler les fautes.
Car l’improvisation a son protocole, son décor (une patinoire où se déroulent les matchs), ses costumes (des maillots de hockey aux couleurs des différentes équipes) et ses règles : on ne dit jamais non aux sujets d’interprétation proposés, on ne décroche pas de son personnage, on respecte le thème demandé, on évite les clichés, etc. Quant au public, il est appelé à voter, en brandissant de petits cartons, pour les meilleures prestations. Les exercices proposés imposent des conditions précises. Exemples : « Improvisation mixte » (les équipes peuvent jouer ensemble), thème « L’avenir sous plastique », nombre libre de joueurs, durée deux minutes. Ou encore : « Improvisation comparée » (les équipes se succèdent), thème « Eprise et surprise à la manière de Molière », trois joueurs par équipe, le tout en une minute quarante-cinq, etc. A la fin du tournoi, des « étoiles » sont remises aux meilleurs improvisateurs, ainsi qu’un trophée du fair-play à l’équipe la plus respectueuses des règles.
« Jalon symbolique »
« Ça va mettre de l’ambiance à la Comédie-Française et la rendre plus proche », se réjouit Eric Ruf, à l’issue de l’après-midi. « La journée du 24 juin est un jalon symbolique pour casser des représentations très figées dans le théâtre, souligne Marine Jubin, pour montrer que l’improvisation, expression jubilatoire et éducative, fait du bien, peut rendre heureux. Mais ce moment est aussi une manière de rendre hommage aux jeunes, particulièrement touchés par les deux années d’isolement subi lié au Covid. » Lors des ateliers d’impro organisés au Français, elle a pu constater que « le répertoire et l’improvisation se nourrissent l’un et l’autre ».
Ainsi, douze ans après avoir obtenu la confiance de la Fondation Culture & Diversité, Alain Degois « décroche » la Comédie-Française. Une convention triennale sera même signée en septembre entre la ville de Trappes et cette institution culturelle pour en faire découvrir les coulisses et les spectacles aux collégiens trappistes. Ces initiatives persuaderont peut-être les ministères de la culture et de l’éducation nationale de développer l’impro théâtrale auprès des jeunes dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle.
Trop longtemps, cette jeune discipline, créée au Québec à la fin des années 1970, a été méprisée, considérée à tort comme une cour de récré. De l’improvisation théâtrale, ses détracteurs n’ont retenu que le terme « improvisation », oubliant, volontairement ou par ignorance, le mot « théâtrale ». Alors qu’il s’agit d’une école de la créativité, de la spontanéité et de la prise de confiance en soi. Il faut avoir assisté à un match d’impro pour comprendre que cet exercice permet à des jeunes de vaincre leur timidité, d’exprimer leur ressenti, de se confronter à la prise de parole en public, au respect de règles précises, au bonheur de faire rire ou d’émouvoir grâce à leur imagination. Tous ne deviendront pas comédiens ou humoristes – c’est loin d’être le but premier –, mais ils auront acquis une certaine aisance à s’exprimer, à respecter la parole de l’autre et porteront un regard différent sur le théâtre et le spectacle vivant.
En février 2014, François Hollande s’était dit convaincu, après avoir été invité par Jamel Debbouze à assister à un match d’impro à Trappes, du bien-fondé de développer cette discipline dans les collèges. Le président de la République, ainsi que ses ministres de la culture (Aurélie Filippetti) et de l’éducation nationale (Benoît Hamon), s’était rendu, deux mois plus tard, à la finale du Trophée d’impro. L’idée, chère à Jamel Debbouze, de proposer une option improvisation théâtrale dans les collèges fut alors officiellement émise. Las, l’opposition se mit en branle contre cette proposition jugée « gadget », et on n’en parla plus...
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