Le torchon brûle avec la mairie. Les Vieilles Charrues revendiquent des évolutions et veulent rester à Carhaix. Mais à quelles conditions ?
Nouvel épisode dans le conflit qui oppose le festival à son maire : le conseil d’administration élargi des Vieilles Charrues vient de rédiger une lettre à Christian Troadec. Culturelink revient sur ce bras de fer, sur fond de municipales. Des semaines de turbulences qui empoisonnent la vie locale et nourrissent les incertitudes quant à l'avenir du plus grand festival français.
Acte 1
Janvier 2020. La rumeur du départ des Vieilles Charrues s’amplifie parmi les 14.000 âmes de Carhaix. Le festival musical, le plus grand en France, même s'il ne dure que quatre jours, participe à la vie et à la notoriété de la commune du Finistère, reconnaissent les habitants, entre ceux qui y travaillent, ceux qui ouvrent leur maison pour accueillir les festivaliers et les commerces de la ville qui profitent de l'événement.
«Aujourd’hui, le festival est organisé sur 85 hectares mais nous signons une convention chaque année avec la mairie et chaque année, on nous pique des petits bouts de terrain», explique Jean-Luc Martin, président de l’association des Vieilles Charrues. «Un jour viendra où on ne pourra plus organiser le festival car nous accueillons 80 000 personnes chaque jour sur le site. Nous voulons avoir la certitude de pouvoir pérenniser l’utilisation du terrain pour les 10 ans à venir ».
Le conseil d’administration ne cache pas son intention d’étudier des solutions de déménagement pour assurer la pérennité de l’événement. «Si l’on peut trouver 100 hectares en Bretagne, on étudiera la possibilité d’aller ailleurs», menace Jean-Luc Martin à l’AFP.
Le festival aimerait également disposer d’installations permanentes (toilettes, éclairage, électricité) pour organiser des concerts en dehors du mois de juillet. « Mais c’est difficile sur des terrains qui ne sont pas à nous », indique le président de l'association.
Le bras de fer avec la ville, en particulier avec son maire, ne fait que commencer. Ironie de l’histoire, Christian Troadec, l’édile, n’est autre que l’un des cofondateurs du festival.
Acte 2
Des négociations ont eu lieu avec la municipalité, qui propose la création d’une société d’économie mixte (SEM) pour la gestion du parc de Kerampuilh, site du festival. « C’est un endroit qui sert à plein d’associations », défend Christian Troadec.
De son côté, Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues, publie, sur les réseaux sociaux, un long communiqué pour rassurer et jouer l’apaisement.
« Nous tenons à expliquer précisément la situation pour éviter les polémiques. (…) Nous sommes viscéralement attachés à Carhaix et à ses habitants, qui nous ont tant donnés depuis plus de 25 ans. Quitter le berceau du festival serait un déchirement, nous ne le voulons à aucun prix », est-il écrit dans le communiqué.
Les organisateurs réaffirment leurs demandes au maire : «la garantie de la mise à disposition des terrains du site du festival (100 hectares)», «construire des installations fixes», « disposer de ces terrains en juin et juillet » et «utiliser ces terrains en dehors du festival».
« Nous comptons toujours très sincèrement sur le soutien et l’accompagnement de la mairie afin de pouvoir pérenniser ensemble le festival sur les différents sites de Carhaix. Plus que jamais, nous souhaitons continuer de faire vivre et rayonner davantage le territoire au travers de l’image de marque entretenue depuis tant d’années par le festival des Vieilles Charrues », conclut l’association dans son communiqué.
La balle est ainsi mise dans le camp de la municipalité pour trouver une issue favorable au conflit.
Acte 3
Les négociations s’enlisent, les échanges, de plus en plus véhéments, se font via les réseaux sociaux ou par voie de presse.
Le maire vit les revendications du festival comme « une véritable injustice ». Il s’indigne : « On ne fait en sorte que d'être au service des Vieilles Charrues, ce qu’on vit là est un bras d'honneur qui nous dit on va partir de Carhaix, on va trouver une autre ville pour nous accueillir, c'est vécu comme quelque chose d'extrêmement triste pour tout le monde ici et de ne pas reconnaître le travail des gens."
Ambiance…
Acte 4
Christian Troadec hausse le ton dans la presse locale. Sur fond de campagne municipale (le maire est candidat à sa réélection), il met en avant son projet de construction d'un vaste Centre des Sports et des Congrès (7,2 millions d'euros d'investissement et une gestion à la charge de la collectivité). Un projet qui ne convainc pas l'association organisatrice, considérant que cet équipement ne répond pas à ses besoins futurs et que nombreuses questions restent en suspens le concernant.
Le maire de Carhaix estime par ailleurs qu’« il y a toujours une négociation possible ». « Ils n’ont aucune raison de se plaindre. Et, généralement, personne n’apprécie le chantage comme arme de négociation en pleine campagne électorale ».
Le 21 février, l’édile adresse un nouveau courrier au festival et se propose d’aller rencontrer les administrateurs du festival. La démarche reçoit l’aval du conseil d’administration. Mais la réponse est assortie de conditions.
En effet, le 1er mars, les administrateurs et membres de l'association expédient un courrier au maire. Ils lui proposent d'intervenir lors du prochain conseil d'administration qui se déroulera le 3 avril, mais... à la condition suspensive de recevoir ses propositions écrites pour le 20 mars.
Le ton du courrier est tout sauf chaleureux. L'association juge "consternantes" les déclarations du maire dans les médias et lui rappelle que "le festival appartient toujours à l’association "Les Vieilles Charrues", constituée de 50 membres bénévoles adhérents (élus pour la majorité depuis plus de 20 ans), de salariés et de 7150 bénévoles.".
Les signataires se disent "choqués et attristés" par les "attaques personnelles systématiques" de l'édile à l'encontre des dirigeants du festival.
De nombreux arguments sont développés concernant l'avenir des Vieilles Charrues, qui fêteront leurs 30 ans en 2021.
Ce courrier peut être consulté sur le lien : https://bit.ly/3cEMpbR
Rendez-vous au prochain épisode, début avril. Après les élections municipales...
La 29e édition du festival se tiendra du 16 au 19 juillet 2020. L'événement accueille 270.000 festivaliers. Son budget s'élève à 17 millions d'euros pour des retombées sur le territoire estimées à 18 millions d'euros.
Antoine Blondel