Face à la mobilisation militaire, les artistes et les métiers du spectacle ne bénéficient d’aucune dérogation, constate le quotidien moscovite “Nezavissimaïa Gazeta”.
La troisième édition du Festival des théâtres de l’Extrême-Orient vient de s’achever à Khabarovsk [tout à l’est de la Russie]. Le Théâtre dramatique de Bouriatie y présentait notamment le spectacle Corée 03, mais la représentation a été annulée : les comédiens avaient été mobilisés. À la place, la direction du festival a décidé de projeter un enregistrement du spectacle. À la fin, seules les femmes de la troupe sont venues saluer.
Les spectateurs dans la salle et les comédiennes étaient en larmes. On sait bien que la Bouriatie fait partie des régions où les hommes ont été envoyés en Ukraine dès le début de l’“opération spéciale” [le nom donné dans la presse russe à l’attaque de l’Ukraine, le 24 février 2022]. Et ils sont encore nombreux à avoir reçu un ordre de mobilisation [le 21 septembre, le Kremlin a décidé d’appeler 300 000 réservistes pour le front ukrainien], y compris ceux qui exercent des professions rares.
Les artistes, des soldats comme les autres
Depuis le 21 septembre, de nombreux théâtres ont été confrontés au même problème : les spectacles étaient annulés quelques heures avant la représentation car les comédiens hommes se trouvaient mobilisés ou choisissaient de quitter le pays. Le théâtre pétersbourgeois Karambol, par exemple, a été rattrapé par ce problème alors qu’il était en tournée à Novossibirsk [en Sibérie occidentale]. Il a fallu faire venir en urgence un comédien remplaçant, qui, fort heureusement, connaissait son rôle. De telles situations sont nombreuses.
Car les artistes en Russie ne sont pas considérés comme appartenant à une catégorie sociale à part. N’importe quel réserviste peut être appelé dans le cadre de la mobilisation partielle. C’est écrit noir sur blanc sur le portail gouvernemental Объясняем.рф [Onvousexplique.ru) : “Si les emplois en question du secteur culturel ne sont pas protégés, si les employés sont réservistes de l’armée russe et ne sont pas réformés pour raison de santé, ils sont mobilisables.”
Le personnel technique aussi concerné
À en juger par les fils d’info régionaux, les avocats et les administrations des théâtres s’activent pour faire réformer leurs équipes : la perte d’une seule personne menace toute la programmation, car souvent, surtout dans les petits théâtres, les comédiens n’ont pas de doublure. En ce sens, la décision du directeur artistique du Théâtre dramatique Pouchkine de Pskov [près de la frontière avec la Lettonie], Dmitri Meskhiev, de reverser les recettes d’une représentation sur cinq aux besoins de l’opération spéciale ressemble à un filet de sécurité : s’il n’y a plus de spectacles, ce sera aussi un manque à gagner pour l’armée.
Les artistes ne sont pas les seuls à être confrontés à la mobilisation. Techniciens de plateau, équipes techniques et décorateurs sont eux aussi essentiels dans un spectacle. Au théâtre du Bolchoï, par exemple, l’équipement scénique est particulièrement sophistiqué. Les techniciens qui le font fonctionner ont suivi une formation spéciale, ils sont irremplaçables.
En 1941, les artistes soviétiques avaient été épargnés
La Russie n’a pas d’expérience en matière de mobilisation militaire – la dernière remonte à 1941. Et même à cette époque, les comédiens avaient été épargnés et les théâtres avaient continué de fonctionner en dépit de tout. La Septième Symphonie de Dmitri Chostakovitch a été jouée dans Leningrad [aujourd’hui, Saint-Pétersbourg] assiégée ! Les comédiens exerçaient leur art au sein des brigades sur le front, des artistes célèbres et émérites se sont produits en première ligne.
Malheureusement, aujourd’hui, la société russe est en décomposition et le conflit occupe aussi l’espace civil de la culture. La plupart de ceux qui dirigeaient des institutions culturelles publiques et qui se sont prononcés contre l’opération spéciale au printemps dernier ont été démis de leurs fonctions (parfois par une démission volontaire), les spectacles des “indésirables” ont été déprogrammés, rayés des programmes des festivals, etc. Mais la “réponse” des investisseurs privés ne s’est pas fait attendre : l’acteur Gueorgui Teslia-Guerassimov s’est plaint au député Dmitri Kouznetsov d’avoir été...
Lire la suite sur courrierinternational.com