Artistes et directeurs de lieux doivent jongler avec les contraintes sanitaires et économiques pour retrouver le public.
Il y a six mois, Stanislas Nordey jouait Claudel à Hangzhou, dans l’est de la Chine. Vingt personnes dans une salle qui en compte 1 200. Des étudiantes dans une cathédrale vide. Mauvais souvenir ? « Non, un moment émotionnel très fort. » A ses débuts, celui qui est aussi directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) a joué Marivaux devant deux personnes, Pasolini devant vingt-quatre spectateurs. En 2013, il a vu le public d’Avignon fuir son spectacle à cause de la pluie. Il s’est produit devant des salles clairsemées après les attentats de 2015. Il a vu beaucoup de choses, sauf des pièces sous virus. Alors il est curieux de voir ce qui se passera en septembre, entre les spectateurs dans la salle et les comédiens sur le plateau.
Les salles de spectacle, de 300 comme de 30 000 places, dans le théâtre, la musique ou la danse, sont des boîtes noires qui tutoient la fourmilière. Leur viabilité en dépend. Or un décret publié le 1er juin leur permet de rouvrir à condition de laisser vide un siège sur deux, avec masque obligatoire et interdiction des concerts debout. La majorité des lieux et des producteurs qui les alimentent sont catégoriques : à moins d’aimer perdre de l’argent, ce modèle est impossible.
Drôle d’ambiance. Tandis que la France déconfine, le monde du spectacle ne se voit pas repartir au front tant le brouillard est épais. Des productions modestes auront lieu en juin ou durant l’été mais l’enjeu, c’est septembre. Et là, si le virus n’a pas disparu, tout dépendra pour les salles et les spectacles de leur modèle économique. On a beau être dans l’art, tout part de là. « Moins on dépend de la recette et du succès, plus on peut tenir. Plus on dépend des tickets, moins on peut rouvrir », résume Laurent Bayle, le président de la Philharmonie de Paris.
La fracture est d’abord entre le secteur privé et le public. Le premier repose sur la billetterie, qui doit couvrir le coût du spectacle ; le second repose sur une subvention qui permet de créer, même avec peu de spectateurs. En conséquence, le privé est à l’arrêt et ne se voit pas revenir en septembre avec le virus alors que le secteur public, lui, reprend déjà doucement. « Le discours ambiant est qu’il faut rouvrir, explique Olivier Poubelle, qui dirige La Maroquinerie, une salle parisienne privée rock et hip-hop. Mais pour nous, c’est impossible. » Les théâtres et salles de musique privés disent en effet perdre de l’argent en dessous de 70 % ou 80 % de remplissage. Du reste, de grosses affiches s’annulent les unes après les autres jusqu’à la fin de l’année, comme The Weeknd, Andrea Bocelli, Céline Dion, Iron Maiden, Paul McCartney, Rammstein…
En revanche, des signes de reprise pointent dans les lieux subventionnés : des concerts sans public à la Philharmonie, des choristes de l’Opéra du Rhin, à Strasbourg, qui répètent séparés par des portants. Cela ne fait pas modèle, mais c’est un début. C’est parce que le Théâtre de Strasbourg est financé à 75 % par l’Etat que Stanislas Nordey peut répéter depuis le 2 juin une pièce qui ne sera présentée que dans neuf mois. Les contacts entre comédiens sont évités, les costumes modifiés pour qu’ils s’habillent eux-mêmes. « L’essentiel est que...
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