Depuis la fin du mois de juillet, nombre de films n’ont pas rencontré le succès escompté. Trou d’air passager ou changement de pratiques plus profond chez les spectateurs ?
Ce n’est pas encore le Titanic, mais tout de même, les indicateurs sur les entrées en salle envoient des signaux inquiétants depuis la fin du mois de juillet. Chaque semaine, distributeurs et exploitants surveillent les chiffres avec appréhension. Tous reconnaissent une certaine impuissance : ils n’arrivent plus à comprendre pourquoi tel film enregistre un bon « score » en salle, et pourquoi tel autre s’effondre. Tout semble devenu imprévisible.
Où est passé le socle de spectateurs plutôt cinéphiles et d’un certain âge, sur lequel on pouvait compter pour la sortie d’un film d’auteur grand public ? L’habitude prise pendant le confinement de regarder les films sur les plates-formes aurait-elle changé durablement les pratiques ? Question taboue que peu de professionnels ont envie d’explorer. Pour l’instant, la baisse de fréquentation oscille entre 20 % et 30 % depuis la réouverture des salles, le 19 mai, si l’on compare avec les chiffres de 2019, sur la même période.
Autre signal persistant, depuis la rentrée, seules quelques productions dominent le box-office − Dune, BAC Nord, Boîte noire, Kaamelott… −, accentuant la concentration récurrente du marché cinématographique. La plupart des films cannois n’ont pas rencontré le public escompté, mis à part quelques exceptions comme Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi. Le dernier James Bond, Mourir peut attendre, avec Daniel Craig et Léa Seydoux, qui sort le 6 octobre, va-t-il relancer la fréquentation ?
«Passe sanitaire dévastateur »
Ce dérèglement a commencé avec la mise en place du passe sanitaire, le 21 juillet, dans les cinémas et les lieux culturels rassemblant plus de cinquante personnes, soit trois semaines avant son entrée en vigueur, le 9 août, dans d’autres lieux publics (cafés, restaurants…). «L’effet du passe sanitaire a été dévastateur», souligne Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), laquelle rassemble tous les établissements (au total environ 6 000 écrans). Il précise :
«Les trois premières semaines de juillet avaient été excellentes, dans le cadre particulier du Festival de Cannes qui avait lieu du 6 au 17 juillet : on a fait la meilleure Fête du cinéma depuis cinq ans, et la fréquentation avait retrouvé son niveau de 2019, quand Le Roi lion remplissait les salles.»
Depuis fin août, ajoute-t-il, «on alterne de bonnes semaines, comme celle de la sortie de Dune, et de mauvaises, avec moins 20 % de fréquentation. Bref, on n’y voit pas clair».
«Chaque semaine on est au désespoir…», soupire le coprésident du Syndicat des distributeurs indépendants (SDI), Etienne Ollagnier : «Avec le passe sanitaire, la salle de cinéma a été désignée comme un lieu potentiellement plus dangereux que le train. Cela a été discriminant et l’impact psychologique a été important. Résultat : cela a rebuté le public des 40–70 ans qui a moins fréquenté les salles. On en a perdu beaucoup en route», constate le distributeur de Jour2Fête, qui ajoute : «J’ai sorti A l’abordage de Guillaume Brac le 21 juillet, on espérait faire 50 000 entrées, on n’en fera pas 15 000. On pariait cette année sur 600 000 entrées pour tous les films sortis dans l’année, on arrivera finalement à 160 000. Aucun film ne nous permet d’amortir nos frais.»
Le secteur de l’art et essai est particulièrement touché, souligne Régine Vial, directrice de la distribution aux Films du losange : «Nous devons faire des efforts pour faire revenir le public plus senior qui manque cruellement. Bergman Island, de Mia Hansen-Love, que nous avons sorti le 14 juillet, comptait 35 000 spectateurs en première semaine mais, ensuite, le public a eu peur et n’est pas venu.» Mais il ne faut pas baisser les bras, dit-elle : «Il faut aller en région, travailler avec le public scolaire, organiser des rencontres avec les metteurs en scène, susciter de l’émotion. L’Etat a beaucoup aidé, mais il ne faudrait pas que cet argent ne serve qu’à combler les plaies, il faudrait qu’il serve aussi à donner envie au public de revenir.»
Salles d’art et essai fragilisées
Lors du dernier congrès des exploitants, à Deauville, du 20 au 23 septembre, la ministre de la culture Roselyne Bachelot a annoncé 34 millions d’euros d’aides, en vue de pallier les effets de la mise en place du passe sanitaire − sachant que le manque à gagner est évalué à ...
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