La version festive de « Comme il vous plaira » a été la plus primée dans la catégorie théâtre privé, et « Les gros patinent bien » a été sacré meilleur spectacle dans le public. La question des violences sexuelles et du sexisme a été abordée à plusieurs reprises.
Des troupes, des femmes, des sujets graves et quelques moments d’humour : pour son retour, après deux années perturbées par le Covid-19, la Nuit des Molières, retransmise lundi 30 mai sur France 3 et élégamment présentée par l’humoriste Alex Vizorek, a vu beaucoup de monde défiler sur la scène parisienne des Folies-Bergère. Comme un pied de nez à la morosité qui laisserait croire qu’il n’y a plus de place, en raison de la situation économique du théâtre, pour des projets avec une large distribution, plusieurs spectacles de troupe ont été récompensés. Et comme s’il fallait, alors que la fréquentation est en baisse dans de nombreuses salles, convaincre le public que « ce n’est pas en restant devant nos écrans à attendre les livreurs de repas que nous triompherons de nos angoisses » – selon les mots de la présidente de cette 33e édition, la comédienne Isabelle Carré –, ce sont essentiellement des comédies qui ont remporté les suffrages.
Ainsi, la version festive de Comme il vous plaira, de William Shakespeare, a été la plus primée en remportant quatre statuettes dans la catégorie théâtre privé : meilleur spectacle, meilleure mise en scène pour Léna Bréban, meilleure comédienne pour Barbara Schulz, et meilleure comédienne dans un second rôle pour Ariane Mourier. Ne comptant pas moins de seize comédiens, chanteurs et danseurs et sept musiciens, la comédie musicale burlesque et virevoltante Les Producteurs, mise en scène par l’incontournable Alexis Michalik, a décroché deux Molières, celui du meilleur spectacle musical et de la révélation masculine pour Benoît Cauden. Quant au Molière de la meilleure comédie, il a été attribué à Berlin Berlin, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras, pièce pour laquelle Maxime d’Aboville a obtenu le Molière du meilleur comédien du théâtre privé.
Dans le théâtre public aussi, c’est la légèreté, la fantaisie et l’esprit décalé qui ont triomphé. L’enthousiasmante adaptation du Voyage de Gulliver, imaginée par le talentueux duo Christian Hecq et Valérie Lesort, a raflé deux statuettes (mise en scène et création visuelle et sonore). Grâce à Elwood, son personnage extravagant qu’il déploie dans Harvey, mise en scène par Laurent Petit, Jacques Gamblin a largement mérité son Molière du meilleur comédien. Et l’incroyable cabaret de carton, Les gros patinent bien, sorti de l’esprit espiègle de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, a été sacré meilleur spectacle.
Heureusement que ces deux comédiens étaient là pour clore, en beauté, une interminable cérémonie (plus de trois heures). Dans l’esprit de leur spectacle, cartons en main, le duo a brandi une proposition, loin d’être saugrenue, à l’attention de la nouvelle ministre de la culture, Rima Abdul Malak : « En ces temps moroses, pourquoi ne pas considérer le rire comme une grande cause nationale. Le rire peut/doit être un acte poétique. Créez s’il vous plaît de toute urgence un théâtre national dédié à la comédie. »
« #metoo n’est pas un concept »
La nouvelle locataire de la Rue de Valois, dont c’était la première sortie théâtre, a souri. Mais d’autres demandes, pas du tout festives, lui ont été adressées. Une vingtaine de militantes du collectif #metoothéâtre, emmenées par Marie Coquille-Chambel et Séphora Haymann, et rejointes par l’actrice Adèle Haenel et la conseillère municipale de Paris Alice Coffin, se sont rassemblées devant les Folies-Bergère, estimant avoir été censurées par Jean-Marc Dumontet, président des Molières, alors qu’elles auraient dû s’exprimer sur scène. Mais, à l’intérieur, leur message a été plusieurs fois relayé avec gravité.
Isabelle Carré a montré leur livre, #MeTooThéâtre (Libertalia, 192 pages, 10 euros), rassemblant des témoignages, qui sortira le 3 juin. « En parlant d’elles, a souligné la comédienne, ces femmes courageuses sont un peu parmi nous ce soir. » Pauline Bureau, sacrée meilleure autrice francophone pour son spectacle Féminines, a dévoilé : « [j’ai été] agressée sexuellement comme, je pense, la plupart des actrices de ma génération. Et puis de moins en moins à mesure que j’ai gagné en pouvoir. Le pouvoir, c’est notamment l’argent. 18 % de l’argent public va à des compagnies dirigées par des femmes, c’est mon cheval de bataille et j’espère, madame la Ministre, que ça va devenir le vôtre. »
Nathalie Mann, au nom de l’association Actrices et acteurs de France associés (AAFA), a appelé les directeurs de théâtre à « nommer un référent ou une référente » pour les violences sexuelles et sexistes, comme c’est le cas sur les tournages de cinéma. Le sujet a aussi tourné au conflit de générations. La comédienne Andréa Bescond n’a pas hésité à tancer Fabrice Luchini. Lors de son hommage rendu à Michel Bouquet, en début de cérémonie, le comédien a considéré que « #metoo était un concept » pour la veuve de l’acteur, Juliette Carré, puisque le couple ne s’était jamais disputé. « Je suis contente pour elle, mais #metoo n’est pas un concept pour les femmes victimes de viol Monsieur Luchini », a rétorqué la réalisatrice des Chatouilles...
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