Les représentations, qui auront lieu pendant les élections des dimanches 30 juin et 7 juillet, sont soumises à des perturbations, dans un climat qui s’annonce délicat.
Invitées surprises des festivals d’été, les élections législatives des dimanches 30 juin et 7 juillet vont bousculer la tenue de représentations qui auront lieu à ces dates. Déjà fragilisées par les baisses de subventions, et perturbées par l’organisation des Jeux olympiques, elles n’en demandaient pas tant. Au-delà du choc politique, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président, Emmanuel Macron, dimanche 9 juin, dans la foulée des résultats des européennes et de la victoire du Rassemblement national (31,4 % des suffrages exprimés), a mis la pression dans le milieu du spectacle vivant : les programmateurs ont dû s’organiser sur-le-champ pour éviter la désertion des spectateurs… tout en les encourageant à se rendre aux urnes.
A la veille de la 78e édition du Festival d’Avignon, piloté par Tiago Rodrigues, la mobilisation a démarré par la recherche tous azimuts de procurations. Des artistes au public (1,9 million de spectateurs pour le « off » en 2023), la cité des Papes est un vivier non négligeable d’électeurs. Une réalité qui n’a pas échappé à son directeur délégué, Pierre Gendronneau : « Pour le moment, notre message prioritaire consiste à appeler les personnes à venir dans nos salles tout en ayant pris les mesures nécessaires pour voter. » Un bulletin de vote dans la main, un billet de spectacle dans l’autre, pour ainsi dire.
Une fois cette question réglée, reste une inconnue : quelle sera l’atmosphère à l’approche des scrutins, le soir du premier tour, puis du second ? A Avignon intra-muros, cœur battant du spectacle vivant, les spectateurs auront-ils la tête à entrer dans les salles les 30 juin et 7 juillet ? Codirecteur du « off », avec Laurent Domingos, Harold David se prépare à toute éventualité : « Personne n’est inconscient au point de penser que si le RN [Rassemblement national] arrive en tête, ce résultat passera comme une lettre à la poste. Avec sa concentration d’artistes, d’intellectuels, d’intermittents, il est probable qu’Avignon devienne une poche de résistance. Nous sommes prêts à bouleverser nos programmes en fonction de cette hypothèse », dit-il.
Une grande soirée construite par les équipes du « off » et par celles de Tiago Rodrigues pourrait se tenir, jeudi 4 juillet, dans la Cour d’honneur. Mais ce n’est qu’une « option », nuance Pierre Gendronneau. « Une fois passés les résultats du 30 juin, nous appellerons si nécessaire à une très large mobilisation citoyenne. La position du Festival est claire et ses valeurs intangibles : il est progressiste, féministe, écologiste, antiraciste. »
« Si le Rassemblement national passe, que fera-t-on pour ne pas juste crier “résistance !”, place de l’Horloge à Avignon ? » Programmé dans le « off », où il met en scène L’Abolition des privilèges, au Théâtre du Train-Bleu, Hugues Duchêne, 33 ans, projette cette question sans réponse. De son côté, Hugo Roux, 29 ans, ne sera pas (une fois n’est pas coutume) président de bureau de vote dans sa Haute-Savoie natale. Il met en scène Les Raisins de la colère, au théâtre 11-Avignon, une adaptation du roman de John Steinbeck. Lui aussi se tient sur le pied de guerre tout en s’avouant assailli de doutes vertigineux : « Comment réagir en cas de raz de marée dès le premier tour ? Je m’interroge sur la nécessité de donner des leçons de vote aux gens, alors que l’on n’a pas été capables d’endiguer la montée du RN. »
Bouba Landrille Tchouda, chorégraphe français d’origine camerounaise, qui présentera Barulhos à La Manufacture, tient à exprimer, « pour la première fois », une parole politique : « Plus que jamais, les Français doivent prendre conscience que le RN n’est pas un parti comme les autres. Quant à la liberté d’expression, et de programmation artistique, elle a toujours fait peur à l’extrême droite. »
La metteuse en scène Marilyn Leray, qui crée Holden au Théâtre des Halles, pointe une autre inquiétude : « Sur certains territoires, les gens semblent peu concernés par la culture, ils sont confrontés à une telle urgence à d’autres endroits… Je sens que l’on va vers une culture du divertissement, alors que l’art est comme un service public, au même titre que l’éducation et la santé. »
Une réplique artistico-citoyenne
Manifestations, grèves, perturbations des représentations, jusqu’à quel point l’actualité politique affectera-t-elle (ou non) la marche de la manifestation avignonnaise ? « Nous serons à l’écoute de ce que veulent les artistes. Si l’impensable advient, le lieu sera ce que les compagnies veulent en faire », affirme Fida Mohissen, codirecteur du Théâtre 11-Avignon. Patron du Théâtre du Train-Bleu, où se tiendra, lundi 8 juillet, une journée consacrée aux minorités LGBTQIA +, Aurélien Rondeau imagine une réplique artistico-citoyenne au possible séisme : « S’il le faut, nous élargirons cette journée spéciale à toutes les minorités. »
En dehors des remparts, au Théâtre L’Entrepôt, situé dans le quartier populaire de Monclar, et fondé par Michèle Addala, l’atmosphère est grave : « Des gens ont le sentiment que leur vote ne changera rien. Dans le département du Vaucluse, quatre députés sur cinq appartiennent déjà au RN, et le cinquième est macroniste », rappelle Antoine Raud, directeur de production de la compagnie Mises en scène, dirigée par Michèle Addala.
La dissolution a pris tout le monde de court, mais ses effets sont d’ores et déjà quantifiables : « Jusqu’au 9 juin, les réservations étaient plutôt meilleures que l’an passé à la même date. En revanche, depuis, nous constatons un tassement. L’anxiété empêche une partie du public de se projeter dans le Festival », regrette Pierre Gendronneau. Dans le « off », il a fallu procéder à quelques petits déménagements, la manifestation occupant cinq locaux qui vont servir de bureaux de vote. Ainsi, le village du « off », sorte de QG, va devoir fermer « du 6 juillet en fin de journée au 8 juillet le matin », explique Harold David. Résultat, dit-il, « deux gros concerts ont dû être annulés, pour un manque à gagner de près de 40 000 euros, si l’on inclut aussi le renforcement des équipes de nuit des techniciens ».
« L’envie d’être ensemble »
Les Rencontres de la photographie d’Arles, qui se déroulent du 1er juillet au 29 septembre, semblent moins touchées, la semaine professionnelle ayant lieu entre les deux tours, et se terminant samedi 6 juillet. « Pour l’instant, nous n’avons noté aucun ralentissement sur les accréditations de la semaine d’ouverture, ni sur la billetterie. En revanche, nous aurons un peu de retard dans la livraison de billets d’invitation, l’imprimeur étant accaparé par les bulletins de vote. Le 7 juillet, les expositions fermeront comme tous les jours à 19 h 30, avant l’annonce des résultats. Mais la préoccupation et les questionnements seront palpables, comme dans toute la France », résume, en pesant ses mots, la directrice adjointe, Aurélie de Lanlay.
A l’inverse, au Festival La Rochelle Cinéma, les visiteurs pourront vivre en direct les deux tours – la manifestation s’étend du 28 juin au 7 juillet. « Depuis l’annonce des législatives anticipées, on enregistre une baisse significative des réservations. Et l’on est dans l’incertitude concernant les 1 300 professionnels, accrédités gratuitement, qui viennent de toute la France pour découvrir les films en avant-première, tout particulièrement les exploitants », précise la déléguée générale et directrice artistique, Sophie Mirouze. Elle ajoute, plus optimiste : « En général, le festival est une bulle, festive. Peut-être cette période délicate donnera-t-elle aux gens l’envie d’être ensemble. »
Entre projections et soirées électorales, le public de la Rochelle aura le choix. Dimanche 30 juin, à 20 heures, le festival rendra hommage à l’actrice Françoise Fabian, avec la projection de Ma nuit chez Maud (1969), d’Eric Rohmer. Quant à ceux qui ne voudront rien savoir, dimanche 7 juillet, ils pourront toujours s’enfermer dans la grande salle pour regarder le Napoléon (1927) restauré d’Abel Gance. La fresque de plus de sept heures sera diffusée en deux parties, une première à 14 h 15 et une seconde à… 19 h 30, une demi-heure avant les résultats.
Tension palpable en Bretagne
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