
Largement subventionnés, coûteux en termes de production, peu écoutés, les disques classiques reposent sur un modèle économique fragile, et ce parfois au détriment des artistes eux-mêmes.
« En vingt ans, il y a eu une inversion des rapports : on arrive à une situation où l’artiste gagne sa vie sur scène et très rarement avec les disques », résume Yann Ollivier, directeur général d’Universal Music Classics jusqu’en 2015 et président des Victoires de la musique classique de 2012 à 2017. Les revenus de l’industrie phonographique ont beau être en hausse constante depuis l’essor des plateformes de streaming musical, ils restent aujourd'hui deux fois inférieurs aux chiffres précédant la crise du disque au début des années 2000. Pour le secteur classique, tous les observateurs convergent vers un bilan encore plus sévère. « La musique classique a laissé passer la dernière révolution technologique, observe Yann Ollivier. Lors de la naissance du CD en 1981-82, Herbert von Karajan avait participé aux réflexions. Quand on est passés à l’ère du streaming digital pour contrer la piraterie, c’est l’industrie de la pop qui a pris le dessus. Encore aujourd’hui, le nom du compositeur n’apparaît pas de manière évidente sur les plateformes de streaming. »
Le modèle de rémunération de ces plateformes au prorata des écoutes, appelé market centric, est largement remis en cause par les acteurs du classique : l’immense majorité du gâteau revient aux ayants droit des titres les plus écoutés de la plateforme, alors qu’un artiste écouté quelques milliers de fois ne récolte que des miettes. Pour une meilleure répartition, certains acteurs du milieu lui préféreraient un modèle user centric, qui reviendrait à diviser ce gâteau selon les écoutes de chaque utilisateur, qu’importe le total d’écoutes. « Le modèle actuel nous défavorise dans le classique, déplore Didier Martin, directeur général d’Outhere Music (Alpha Classics, Ricercar, Delos, Analekta, etc.). Nous n'avons pas de fanatiques qui réécoutent en boucle, d’autant que nous avons souvent des morceaux plus longs, ce qui n'est pas pris en compte dans le modèle de rémunération market centric. » Le 15 janvier dernier, Deezer et la Sacem se sont associés pour rééquilibrer la distribution des droits d’auteurs, mais cela reste une exception parmi les plateformes.
Sur la pente de l’uniformisation
Face à ces nouveaux usages des plateformes de streaming musical, les labels de classique ont dû adapter leur fonctionnement. Le Graal : rentrer dans une playlist grand public, qui permettra de démultiplier le nombre d’écoutes et de gagner en visibilité parmi les 120 000 titres publiés quotidiennement sur les plateformes. Et pour cela, les labels doivent jouer avec les codes du streaming. « On adapte nos stratégies de diffusion, avec la sortie de singles séparés avant chaque album, explique Nicolas Bartholomée, fondateur des labels Naïve et Aparté. Dans un disque avec trois sonates de Brahms et Beethoven, on demande aux artistes de faire une ou deux pièces courtes pour les plateformes de streaming. Mais il faut rester vigilant : si on écoute trop les logiques du digital, on va tous se mettre à faire du Sofiane Pamart et arrêter de faire la musique qu’on aime. »
Le triomphe de la communication
Pour faire exister les albums sur les plateformes de streaming et dans les médias, les labels investissent de plus en plus dans la communication autour des albums. « À l’époque, le patron de Sony m’avait dit qu’il fallait 1 € de production pour 1 € de communication, se souvient Nicolas Bartholomée. Aujourd'hui, il faut doubler la mise dans la communication. » Photos, clips vidéo, storytelling, interviews promotionnelles, illustrations, tout est bon pour faire valoir la spécificité de son produit. D’autant que, contrairement aux musiques actuelles, le répertoire de la musique classique a tendance à tourner en rond. « Les symphonies de Beethoven ont déjà été tellement enregistrées, le classique amène nécessairement de la répétition. Pour se distinguer, c’est la qualité des artistes mais aussi la communication et la reconnaissance même du label qui permettent de se distinguer », explique Mathilde Rouxel, directrice en France de l’agence de presse et marketing Wildkat, qui gère notamment les labels harmonia mundi, Aparté et b•records. Les artistes eux-mêmes prennent part à...
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