EXCLUSIF - En Île-de-France, comme dans le reste du pays, de nombreux événements culturels pourraient être annulés ou reportés pour des raisons de sécurité. Le débat est engagé entre l'Intérieur et la Culture.
Faudra-t-il choisir entre les festivals et les Jeux Olympiques ? Tous les grands évènements culturels de 2024 dans l'Hexagone sont sur la sellette. À tout le moins ceux prévus pendant les mois qui encadrent la manifestation. Le festival d'Avignon, les Vieilles Charrues en Bretagne ou le festival d'Aix-en-Provence, comme les grands concerts de stars françaises et internationales, pour ne citer que quelques exemples, seraient soit interdits, soit décalés au printemps ou à l'automne.
Mardi 25 octobre, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a mis les pieds dans le plat devant les sénateurs, lors d'une audition sur les jeux Olympiques. Après avoir fait la liste des menaces qui pèsent sur l'événement et constaté, qu'il aurait besoin de 30.000 policiers et gendarmes par jour, il a glissé au milieu d'un flot de paroles: «le principe, c'est le report ou l'annulation des grands événements sportifs ou culturels mobilisant de nombreuses forces de police et de gendarmes.» Place Beauvau, son entourage ajoute : «Le président de la République l'avait déjà indiqué en juillet. Les JO, c'est une fois tous les siècles, chacun doit faire des efforts si on veut que le pays soit maintenu en sécurité.» La parole présidentielle a sans doute mal circulé depuis juillet, à moins qu'elle n'ait été surinterprétée par le locataire Beauvau.
C'est en tout cas le sentiment de son homologue de la Culture. «Un travail est en cours pour recenser les difficultés qui se posent, en raison de l'ampleur des moyens nécessaires pour les JO et les jeux para-Olympiques, explique l'entourage de Rima Abdul-Malak. Une concertation avec les acteurs aura lieu, pour voir comment concilier les besoins des jeux avec ces événements estivaux qui font partie de l'ADN culturel de la France. Ils sont très attendus par les publics et moteurs de l'économie locale». La ministre semble décider à mener un bras de fer avec l'Intérieur.
Depuis quelques jours, les préfets sont priés de faire un état des lieux. Producteurs de concerts et organisateurs de festivals doivent préciser les forces de sécurité dont ils ont besoin. Blême, Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss, premier syndicat des entreprises privées de spectacles en France, est montée au créneau ces dernières heures. «La culture ne peut pas être sacrifiée sur l'autel des jeux Olympiques. Le Comité Olympique assure que les JO seront bénéfiques à tous les secteurs, ce qui est faux», s'indigne-t-elle.
"Des lourdes contraintes vont peser sur la préfecture de police en 2024 à l'approche des JO, pendant ceux-ci et à l'automne. Nous n'accorderons, sauf exception liée aux JO, aucune autorisation de manifestation, ni d'occupation de voie publique, ni ne mettrons par là même en place de service d'ordre, les policiers et gendarmes habituellement à vos côtés seront exclusivement dédiés à la sécurisation des Jeux." Courrier du 20 octobre de la préfecture de Paris aux producteurs de festivals et concerts
Courrier du 20 octobre de la préfecture de Paris aux producteurs de festivals et concerts
À Paris, où se concentrent la moitié des compétitions, dont sept dans l'hypercentre, le préfet Laurent Nunez a, lui, pris les devants. Dans un courriel datant du 20 octobre que Le Figaro s'est procuré, l'un de ses chefs d'État-major explique à plusieurs producteurs que «des lourdes contraintes vont peser sur la préfecture de police en 2024 à l'approche des JO, pendant ceux-ci et à l'automne». «Nous n'accorderons, sauf exception liée aux JO, aucune autorisation de manifestation, ni d'occupation de voie publique, ni ne mettrons par là même en place de service d'ordre, les policiers et gendarmes habituellement à vos côtés seront exclusivement dédiés à la sécurisation des Jeux, précise la préfecture. Aussi je vous demande de planifier vos événements sur les quatre premiers mois de 2024 de manière à ce que nous puissions vous accompagner comme nous le faisons chaque année avec rigueur et efficacité. Merci pour votre compréhension.»
C'est ainsi que les organisateurs de Solidays (247.000 festivaliers) et Lollapalooza (60.000) ont appris que leurs manifestations devraient avoir lieu entre janvier et avril, au lieu de juin et juillet comme d'habitude. Dans la capitale, les producteurs avaient certes compris depuis longtemps qu'ils n'auraient pas accès au Stade de France, à l'AccorArena de Bercy et à l'U Arena de Nanterre pendant quelques semaines de l'été 2024. Principal client de ces trois grandes salles, Angelo Gopee, P-DG du géant Live Nation France (qui organise les concerts de Coldplay, Red Hot Chili Peppers ou Lady Gaga) regrette cependant l'absence d'informations. «On nous a simplement indiqué que les salles fermeraient, sans nous préciser la période, et surtout sans nous demander comment on pouvait nous aider, déplore-t-il. Ne pas avoir de Stade de France, c'est 50 à 70 millions d'euros de chiffre d'affaires de manque à gagner. L'Accor Arena ne nous a toujours pas donné de date de fermeture en juin 2024. Dix concerts sont en jeu soit 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. »
"Après les attentats de 2015, nous avons subi les grèves, les gilets jaunes, la pandémie, la crise de l'après covid avec un embouteillage de concerts en 2022 et 2023 Et nous sommes censés accepter une nouvelle vague d'interdiction de spectacles en 2014 pendant les quatre mois où nous réalisons 50% de notre chiffre d'affaires annuel ?" Olivier Darbois, tourneur de Juliette Armanet
Olivier Darbois, tourneur de Juliette Armanet
Pour Oliver Darbois, qui organise les concerts de Juliette Armanet et de Radio Head, la «palme» du manque d'anticipation revient à la maire de Paris. «Anne Hidalgo, qui gère l'Accor Arena, reste muette. Nous devrions être en train d'étudier un plan B mais elle n'en a pas», estime-t-il. À la tête du festival Rock en Seine, qui se tient fin août, Matthieu Ducos raconte, lui, s'être rendu à la préfecture des Hauts-de-Seine pour obtenir des informations et non pas des bruits de couloir. «Un festival en plein air est lié à la météo, à la disponibilité du lieu et des tournées des artistes, détaille-t-il. On ne peut pas le décaler de trois mois comme ça. Je n'ai pas eu les précisions espérées. J'ai huit salariés permanents. Ne pas avoir un Rock en Seine en 2024 équivaut à une perte de plusieurs centaines de milliers d'euros.» «Après les attentats de 2015, nous avons subi les grèves, les gilets jaunes, la pandémie, la crise de l'après covid avec un embouteillage de concerts en 2022 et 2023 , poursuit Olivier Darbois. Et nous sommes censés accepter une nouvelle vague d'interdiction de spectacles en 2014 pendant les quatre mois où nous réalisons 50% de notre chiffre d'affaires annuel ?»
Au-delà de la région Ile-de-France, le grand flou prévaut également. À 639 jours des Jeux Olympiques (du 24 juillet au 11 août) et 672 jours des jeux Para Olympiques (28 août au 8 septembre), la tension monte. Le temps presse car les programmations d'artistes pour 2024 sont déjà lancées. En attendant les retours des préfets, les élus commencent à s'affoler, à mesure qu'ils rassemblent des bribes d'informations. Le choix qui s'offre aux producteurs de reporter ou d'annuler leurs manifestations, les consterne.
En tout, 22 villes vont accueillir des compétitions et l'impact sur les manifestations locales est grand. «Les reports sont une quasi-certitude et des annulations sont probables, estime Cédric Perrin, sénateur LR du Territoire de Belfort et vice-président des Eurockéennes. Cela n'est pas neutre, car 130.000 festivaliers, c'est 11 millions d'euros de retombées économiques pour notre territoire.» Même constat en Bretagne, où Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues - 6 millions d'euros de recettes pour la région- ne cache pas son anxiété. Lui a besoin de 750 agents de sûreté et d'un ou deux escadron de gendarmerie. Le 14 juillet dernier, alors que les rockers australiens de Midnight Oil rugissaient sur scène devant 70.000 festivaliers, il avait bien tenté d'alerter la ministre de la Culture. « Reprendre les festivals cet été a été difficile à cause du manque de personnel et des retards de matériel, témoigne Jérôme Tréhorel. Mais ce n'est rien par rapport à ce qui nous attend l'été 2024 avec les Jeux Olympiques.»
«Attérés» en sortant de Matignon
Dans ses échanges avec la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak lui avait expliqué qu'il fallait se «concerter pour que l'impact sur la culture soit le moins néfaste possible». Deux mois et demi plus tard, le 3 octobre, profitant d'une réunion «bilan des festivals d'été» rue de Valois, Jérôme Trehorel est revenu à la charge. Sans obtenir de réponse plus précise. Même déception à l'issue d'une nouvelle réunion, à Matignon cette fois, d'où les producteurs sont sortis «atterrés». «Nous ne nous attendions pas à ce que les mesures concernent toute la France, et s'étendent sur quatre mois», poursuit Malika Seguineau. À Matignon, les services d'Élisabeth Borne ont assuré que «les annulations doivent être évitées au maximum».
Mais chacun a compris que la crainte numéro 1 de l'exécutif était de revivre le...
Lire la suite sur lefigaro.fr