Aucune annonce ne vient pour l’instant calmer l’angoisse grandissante des représentants du secteur de voir leurs événements programmés annulés du fait de l’épidémie de Covid-19.
Entretenir l’espoir, sans être sûr de rien. Vendredi 29 janvier, lors d’une visioconférence réunissant la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, et une quinzaine de représentants de festivals de musiques actuelles, afin de mettre en place « les modalités et le calendrier qui permettraient d’envisager la tenue des festivals au printemps et en été », les participants ont pris, à nouveau, acte de la bonne volonté du gouvernement. Sans qu’aucune annonce concrète puisse pour l’instant calmer leur angoisse grandissante de voir leurs événements menacés d’une deuxième saison blanche.
Certes, Mme Bachelot a affirmé que « des réponses justes et adaptées devraient être trouvées en fonction des jauges, des temporalités et des configurations ». Et a ajouté ne pas souhaiter « condamner la configuration debout ni les grandes jauges », tout en assurant qu’il n’y aurait pas une seule et unique solution pour l’ensemble des festivals. Mais, incertitudes sanitaires obligent, rendez-vous a, de nouveau, été pris le 18 février, pour espérer apporter les premières solutions aux problèmes soulevés avec « des dispositifs adaptés ». Le but, selon la ministre :« Que chaque festival puisse prendre, in fine, la décision qui lui semble la meilleure en fonction de sa configuration. » S’il juge l’échange constructif, Ben Barbaud, patron du Hellfest, le plus gros festival « metal » de France, remarque que « chaque réunion se termine par une “clause de revoyure” qui entretient l’illusion ».
Car pour les grands festivals de musiques dites actuelles (pop-rock, chanson, hip-hop, électro…), organisés au printemps ou à l’été, avec des dizaines de groupes programmés et des fréquentations qui se comptent en dizaines de milliers de personnes chaque jour, c’est maintenant que doivent être prises les décisions de mise en route des productions. Ou pas. Pour l’heure, aucun grand festival en France n’a annoncé son annulation, mais, chez nos voisins anglais, la décision, prise jeudi 21 janvier, de reporter à 2022 le célèbre et gigantesque Festival de Glastonbury, prévu du 23 au 27 juin, n’est pas un très bon signe pour l’Europe. En 2020, le festival anglais avait déjà été le premier à annuler.
Chronologiquement, Le Printemps de Bourges (Cher) marque, par sa dimension et son suivi par près de 2 000 professionnels du secteur (production, management, diffusion, presse…), le début de la saison en France. Il est d’ailleurs prévu que Bourges reçoive la suite des états généraux des festivals, à l’initiative du ministère de la culture, durant la tenue du Printemps, qui, de fin avril, a été repoussé à une période comprise entre les 4 et 9 mai. Organisé en ville, avec des scènes en plein air, un grand chapiteau (le W), des salles aux capacités variées, Le Printemps de Bourges a décidé, dès le 10 décembre 2020, de ne pas « jouer la tenue du festival sur la seule hypothèse d’un retour à la normale », nous a précisé son directeur général, Boris Vedel. Les concerts du W, avec sa capacité d’accueil « jusqu’à 10 000 personnes », n’auront pas lieu.
En 2020, Le Printemps n’avait pas eu beaucoup de « recul entre le début du confinement et l’annulation. Cette fois, nous avons eu plusieurs mois pour envisager divers scénarios ». Parmi lesquels, la possibilité d’adapter les jauges des salles ou de déplacer à une autre période la partie plein air, qui suscite des déplacements de foule plus importants en ville.
Même problématique entre plein air et intérieur au Festival Art Rock, à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Au-delà d’un important programme musical, la manifestation présente des expositions, de la danse, des arts de la rue et une opération de dégustation gastronomique, Rock’n Toques, très courue. A fin janvier, Carol Meyer, la directrice, et ses équipes n’avaient pas « encore décidé de ne pas faire les grands concerts en plein air, qui peuvent accueillir plus de 10 000 personnes ». Dans ce cadre, une jauge réduite est plus compliquée à équilibrer financièrement. Si les expositions restent plus simples à maintenir, avec une gestion déjà existante des flux du public tout au long de la journée, l’équipe ne s’estime « pas prête à sacrifier la partie spectacles de rues » en misant sur « des petites formes plus que sur des grandes déambulations qui feraient venir des milliers de personnes ».
« Des paliers d’autorisation »
Pour tous les organisateurs, se pose la question du calendrier. La décision de ne rien autoriser, tant que la campagne de vaccination ne serait pas aboutie, serait « un peu radicale », estime Carol Meyer, qui plaide pour « des paliers d’autorisation ». « Avec les variants, tout a été bousculé et l’on est retombé dans l’inconnu, ajoute Boris Vedel. Le déroulé de la campagne de vaccination est encore imprécis, même si maintenant, on nous dit que cela nous mènera à la fin de l’été. »
Programmés au début de la saison estivale, plusieurs des grands rassemblements musicaux français ont de quoi s’inquiéter. Mi-janvier, l’équipe du Hellfest (du 18 au 20 juin) avait interpellé la ministre de la culture dans une lettre ouverte, lui demandant, entre autres, si « 60 000 personnes par jour pourraient venir “headbanger” debout, en plein air et sans distanciation sociale, en écoutant du bon vieux rock’n’roll ». Patron de l’événement, Ben Barbaud reconnaît qu’il cumule « tous les handicaps » : « Tôt dans la saison, avec une programmation très internationale, un public grand consommateur de bière, amateur d’ambiances sudatoires, réuni, en grande partie, dans le plus gros camping de France… » Rétro-planning oblige, les vingt-deux salariés du Hellfest ont pourtant repris le travail, renonçant au chômage partiel, avec « des frais de fonctionnement de 250 000 euros par mois » assure Barbaud. Intenable si tous ces efforts doivent déboucher sur une annulation.
Le patron du Hellfest sait que son avenir dépend avant tout de la venue des groupes anglo-saxons (Korn, Deftones, Deep Purple…). Les annulations coup sur coup des festivals de Coachella, aux Etats-Unis, et, surtout de Glastonbury, en Angleterre, incitent au pessimisme. « Avec d’autres gros festivals européens, comme le Download, en Grande-Bretagne, ou le Graspop, en Belgique, nous avons décidé d’attendre jusqu’à la fin février pour nous décider », explique Ben Barbaud. Qui, s’il constate qu’« aucun artiste n’a annulé jusque-là », admet ne plus trop y croire. En espérant que l’aide de l’Etat sera à la hauteur, en cas de deuxième année blanche.
Concerts-tests
Prévu à Belfort, du 1er au 4 juillet, le festival des Eurockéennes accueille en temps normal, près de 35 000 spectateurs par jour. Comme d’autres, son directeur, Jean-Paul Roland, avait annoncé dès décembre, une programmation faisant, comme d’habitude, la part belle aux vedettes internationales (Muse, Massive Attack, Diplo, Foals…). Il veut encore y croire, avouant tout de même être « tombé de sa chaise » en apprenant l’annulation de Glastonbury. Après tout, ne dit-on pas que certains artistes anglo-saxons (Sting, 21 Pilots…) seraient prêts à louer plusieurs mois des maisons en France pour pouvoir rayonner sur quelques festivals européens ?
Comme Ben Barbaud, Jean-Paul Roland n’imagine pas son festival en jauge « dégradée ». « Nous voulons préserver l’esprit des Eurocks, le public ne vient pas pour que chacun soit assis à 2 mètres l’un de l’autre », explique-t-il en assurant que 36 000 billets ont déjà été vendus pour l’édition 2021. Son espoir, il le fonde sur les taux possibles de vaccination, mais aussi sur des protocoles permettant l’accès aux festivals aux spectateurs titulaires d’un test négatif.
Avec d’autres producteurs et responsables de festivals, Jean-Paul Roland travaille d’ailleurs à une commission du Prodiss, le syndicat national du spectacle musical et de variété, chargé d’étudier et de proposer de nouveaux protocoles, déterminés à partir de concerts-tests devant être organisés en France d’ici à début mars. « Le but est de pouvoir organiser des spectacles et des festivals dans les conditions les plus proches de la vie d’avant, avec public masqué mais non distancié », explique Malika Séguineau, directrice générale du Prodiss.
A la suite d’expériences déjà tentées à Barcelone, en Espagne, par les organisateurs du festival Primavera, et aux Pays-Bas, la commission multiplie les consultations auprès d’institutions sanitaires comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en collaborant aussi avec le secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation, pour mettre en place des concerts dans des salles, à Paris et en province, avec plusieurs milliers de spectateurs volontaires.
Passeport sanitaire
Des solutions se dessineraient déjà. « Des tests antigéniques effectués devant les événements seraient trop lourds et complexes à réaliser », reconnaît Marie Sabot, directrice du festival We Love Green (3 au 6 juin), et membre active de cette commission du Prodiss. « Les spectateurs pourraient passer ce test 72 heures avant l’événement. Le résultat serait intégré dans leur application TousAntiCovid sous la forme QR code. En cas de test positif, leur billet pourrait être remboursé automatiquement. Un test négatif leur permettrait d’entrer. » Resterait à faire valider ce principe de laissez-passer culturo-sanitaire par le gouvernement et le Parlement. Pas une mince affaire. Au-delà de nombreuses questions de logistique sur leur mise en œuvre à grande échelle, cela met en jeu de multiples questions d’éthique. « Et tant qu’il n’y a pas d’égalité devant le vaccin, cela peut difficilement être un critère », estime Boris Vedel.
Directeur des Vieilles Charrues, à Carhaix (Finistère), l’un des plus importants festivals de France (70 000 personnes par jour), Jérôme Tréhorel affiche son scepticisme quant à l’efficacité de ces tests – « quelle sera leur valeur quand un festival dure plus de trois jours ? » – et à la possibilité de faire valider légalement l’idée d’un passeport sanitaire. Il préfère suivre à la loupe l’évolution de la pandémie, les vaccinations et les décisions gouvernementales qui doivent, selon lui, impérativement être prises avant fin mars. « Nous avons besoin d’un cadre pour nous organiser et éventuellement mettre en place un événement sur un autre modèle économique. »
Contrairement aux Eurockéennes ou au Hellfest, le festival breton, prévu du 15 au 18 juillet, n’a pas encore annoncé sa programmation. Histoire de ne pas faire de « fausses promesses ». Jérôme Tréhorel se dit prêt à adapter son édition 2021 « même avec des concerts devant 3 000 ou 5 000 personnes assises, avec une affiche 100 % française ». « L’important est que l’on se retrouve, qu’il existe cette bouffée d’oxygène et que l’écosystème régional autour du festival puisse exister. » A condition d’être accompagné par l’Etat et les collectivités pour combler les déficits budgétaires qu’induiraient forcément ces jauges « dégradées ».
Une envie d’adaptation que l’on retrouve aussi dans l’équipe d’Astropolis, festival vétéran des musiques électroniques, prévu à Brest du 1er au 4 juillet. Quitte à rogner la dimension festive inhérente à la culture rave et dancefloor. Président et cofondateur du festival, Gildas Rioualen espère beaucoup des vaccinations. Il soutient aussi les initiatives du Prodiss et la perspective d’un passeport sanitaire pouvant redonner vie au monde culturel. Il sait qu’avec les beaux jours, les envies de lâcher prise pousseront aux « fêtes clandestines ». Mais le patron d’Astropolis recherche aussi des sites extérieurs permettant d’organiser des concerts assis, adaptés aux possibles contraintes à venir. Une formule pas incompatible avec l’esthétique électro ? « La musique électronique peut être également contemplative et “ambient”, précise-t-il, surtout avec un accompagnement visuel et scénographique. »
Avec un peu plus...
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