Chronique. Roselyne Bachelot a attrapé une maladie de l’époque. Elle fut trop encensée à son arrivée au ministère de la culture, elle est trop décriée aujourd’hui. Elle était la sauveuse, on dit qu’elle ne sert plus à grand-chose. En six mois à peine. Elle doit s’épuiser dans de mauvais procès alors qu’elle doit gérer des dossiers délicats et des erreurs dont on parle moins.
Le monde de la culture reproche à Mme Bachelot la fermeture des théâtres ou cinémas alors que tout le monde est dans le brouillard et que tous les pays ont fait grosso modo pareil – confiner, déconfiner, reconfiner, couvre-feux… La ministre espère annoncer bientôt une réouverture en trois étapes, d’abord les musées, puis les cinémas, et enfin les salles de spectacle. A condition que les contaminations ne bondissent pas. Bref, la « lionne » comme la surnomme le premier ministre, Jean Castex, se bat mais ne rugit plus. « Le printemps est inexorable », promet-elle. Que peut-elle faire ou dire d’autre ?
Revoir son vocabulaire déjà. Dans ses discours, Roselyne Bachelot opère une distinction inédite entre culture « patrimoniale » et culture « numérique ». Sous le premier vocable, elle réunit tous les lieux en dur – musées, cinémas, théâtres, salles de concerts… Qui font surtout de la création, pas du patrimoine. Elle donne l’impression d’opposer une culture du passé et en perdition, prisée par les vieux et les riches, à une culture d’avenir et de jeunes, populaire et en pleine santé. Lorsque les premiers sont à l’arrêt et que les opérateurs numériques les narguent, les mots peuvent blesser. On n’est pas sûr qu’elle s’en rende compte.
Climat de douleur générale
Roselyne Bachelot dit aussi qu’elle est la ministre « des artistes » et non du public. Donc elle colle à leur souffrance, parlant d’une voix brisée ou embrumée, comme si elle était des leurs. Comme si elle en était l’otage. Mais, dans le même temps, elle était curieusement absente quand Jean Castex a annoncé, le 10 décembre 2020, que la culture ne rouvrirait pas, ce qui a blessé les créateurs.
Surtout la douleur brouille le sujet de l’argent pour éponger les ravages de la crise. Mme Bachelot dit avoir dégagé des milliards pour la culture depuis dix mois et son budget 2021 est en hausse de près de 5 %. Bravo mais on aimerait en savoir plus sur la mise en œuvre.
Au-delà d’une bureaucratie bien française, donc des délais gênants entre l’argent promis et l’argent arrivé, surtout pour les plus faibles, il y a un sujet tabou. Car la souffrance est à géométrie très variable. Il existe même des lieux qui ont profité de leur fermeture pour se remettre à flot. Ils sont semi-publics ou de statut associatif, ont bénéficié du chômage partiel, affichent en temps normal des recettes de billetterie bien inférieures aux coûts de production, soit un déficit qu’une solide subvention vient compenser. De nombreux lieux culturels ou festivals sont concernés. L’Etat va-t-il les ponctionner ? Pas simple, surtout dans un climat de douleur générale.
Perdre sa raison d’être
Que va faire aussi la ministre avec l’Opéra de Paris, qui affiche une bonne cinquantaine de millions de déficit ? Un rapport est sur sa table, qu’elle n’entend pas rendre public, ce qui n’est jamais bon. Dans un entretien à La Croix du 13 janvier, elle confie que « les difficultés structurelles de l’établissement exigent des réformes importantes ». Cette fan de musique classique et d’opéra sera-t-elle gentille ou rude avec une maison coûteuse, qui entend construire en plus une salle modulable et bénéficie d’une convention collective plus qu’avantageuse ?
Le sujet le plus délicat concerne le Pass culture, cher à Emmanuel Macron (300 euros pour chaque jeune le jour de ses 18 ans). Après trois ans d’études et de tests, qui ont déjà coûté des millions, le ministère annonce sa généralisation. Avec une première enveloppe de 59 millions. Le problème est que le Pass est en voie de perdre sa raison d’être. Il était destiné en priorité aux jeunes défavorisés qui ignorent les lieux culturels. L’arme de la démocratisation. Maintenant, y compris à l’Elysée, on dit que même si ce sont les jeunes aisés qui en profitent le plus, le Pass reste utile.
Un Pass devenu chéquier pour une jeunesse déjà friande de culture, qui se nourrit à l’Internet et qui pourrait privilégier des jeux vidéo ou des films américains, rend furibards les milieux culturels. Pour ne pas arranger les choses, ce Pass déboule au moment où le ministère crée une direction chargée de la démocratisation culturelle, mais avec très peu de moyens. Et alors que le milieu associatif proche des quartiers populaires est à l’agonie.
Grand écart dans les médias
Tout cela renvoie au profil de Roselyne Bachelot, dont les contradictions sont révélées par le Covid-19. Son image est unique. Une rabelaisienne, jamais à court d’une blague, qui séduit à gauche comme à droite, a gagné les cœurs lors de sa deuxième vie, quand, huit ans durant, elle faisait le grand écart dans les médias : des chroniques à France Musique ou pour le site de Forum Opéra, et des cachets à D8, RMC, Europe 1, France 2, LCI, RTL.
Résultat : elle est très populaire dans...
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