De couvre-feu en second confinement, les salles de spectacles et les festivals en plein marasme subissent les contraintes sanitaires et se résignent à reporter ou annuler leur programmation.
Après des mois à ricocher à chaque nouvelle annonce restrictive pour maintenir l’offre de musique live, les salles de concerts, festivals et tournées ont fini par voir leurs efforts coulés par le nouveau confinement. Depuis l’interdiction des événements de plus de 1 000 personnes début mars, les professionnels du spectacle ont multiplié les scénarios, adaptant les jauges, lieux et horaires, gonflant la section reports de leurs sites. Professionnels, artistes et publics sont restés suspendus aux annonces du gouvernement qui a trop rarement eu un mot consolatoire pour ce secteur particulièrement dévasté par la crise.
A Saint-Lô, dans la Manche, la salle le Normandy et son équipe organisatrice du festival les Rendez-Vous soniques, prévu à partir du 4 novembre, avaient longtemps gardé l’espoir de rester l’un des derniers festivals maintenus en France : en zone verte, le département n’était pas concerné par le couvre-feu. Avec sa programmation réduite de moitié où devaient jouer initialement Benjamin Biolay, Dionysos, Yseult, et de nombreuses révélations, sa jauge était répartie sur plusieurs lieux, réduite de 17 000 à 6 000 spectateurs. «Le public avait soif de revenir voir des spectacles, les agents disaient que c’est assez incroyable. On n’a su que fin août que nous allions devoir reprendre les concerts en configuration assise. Des groupes de rock pour qui c’était inconcevable de jouer assis ont finalement accepté mais d’autres ont préféré reporter, comme un certain nombre de groupes de reggae», explique Anthony Hamel, directeur technique de cette Scène des musiques actuelles conventionnée (Smac). Quand les règles de distanciation physique ont été élargies à tout le territoire, deux dates organisées dans un théâtre de 400 personnes qui affichaient complet ont dû être ainsi transférées dans un hall d’exposition.
Déception
Puis la deuxième vague d’annonce de couvre-feu, qui ne concerne toujours pas le Cotentin mais les départements voisins d’où vient plus de 30 % du public, les fait travailler à nouveau sur de nouvelles horloges. «Notre chargée de communication et de billetterie a frôlé le burn-out, ce sont des épreuves très difficiles quand ton lieu est fermé depuis février. Il y a cinq ans, en novembre aussi, on s’était pris une grosse claque quand l’un des pères fondateurs de l’association qui gère le Normandy était décédé là-bas [Cédric Mauduit, ndlr]. Bien sûr, cette année est différente, mais nous sommes à nouveau face à une gestion de crise et à un niveau de moral des équipes au plus bas.»
La déception est palpable aussi du côté du public et de l’équipe du festival des TransMusicales de Rennes, qui avait dévoilé le 13 octobre un format renouvelé pour son rendez-vous clé de l’hiver qui devait se tenir début décembre, mois de tous les paris. Dans un communiqué, les organisateurs expliquent avoir imaginé au total sept scénarios avant de rendre, la semaine dernière, les armes pour cette édition. «Nous ne voulons pas que notre volonté de maintenir le festival se transforme en acharnement», résument-ils. Dans une institution comme la Philharmonie de Paris (XIXe), en novembre, ce sont près de 50 concerts qui sont annulés, annonce son directeur, Laurent Bayle : «On continuera d’ouvrir les portes aux professionnels en renforçant les mesures barrières et en diminuant l’activité.» Devant l’Assemblée nationale le 29 octobre, Jean Castex a évoqué l’autorisation du «travail préparatoire aux spectacles, les répétitions, les enregistrements et les tournages afin de préparer les activités de demain». Laurent Bayle, quant à lui, évoque des concerts à «sauver en captation», tel celui de l’Orchestre de Paris avec Rebecca Tong, la lauréate du concours la Maestra, ou celui de Rodolphe Burger avec Jeanne Balibar en invitée. Si des acteurs du spectacle et même Roselyne Bachelot ont pu brièvement plaider pour un assouplissement du couvre-feu pour le spectacle vivant et le cinéma, Laurent Bayle s’était résigné : «J’ai vu le nombre de cas contacts augmenter dans des institutions, des concerts qu’on a voulu sauver mais qu’on a dû annuler à cause d’un cluster dans la ville où les musiciens jouaient lors de la date précédente. J’étais obligé de prendre en considération un contexte qui s’est détérioré.»
Casse-tête
Le festival Villes des musiques du monde, en Seine-Saint-Denis, pouvait se réjouir d’avoir choisi cette année la thématique «Douce France», pour «faire la promotion d’artistes présents sur le territoire national qui créent aussi une sono mondiale». Un hasard qui facilitait la venue d’artistes sur le territoire pour un festival habituellement plus international. Il a été plusieurs fois remodelé pour son édition automnale : misant sur l’été indien pour jouer en extérieur en petite jauge, puis en caravane itinérante, avant de se redéployer en octobre en s’appuyant sur un réseau de salles de Seine-Saint-Denis, de Paris et du Grand Paris. «Le 17 octobre, on avait dû remanier entre 30 et 50 dates en quarante-huit heures. L’épicentre du festival c’est la Seine-Saint-Denis, un des territoires les plus touchés par les impacts sociaux et psychologiques et par les inégalités pendant le confinement. On voulait que ce festival soit aussi au service d’une quête de sérénité», explique Kamel Dafri, directeur du festival, qui est désormais «dans l’attente de la marge de manœuvre pour les acteurs culturels dans les établissements scolaires».
Marie Descourtieux, responsable de la culture à l’Institut du monde arabe (Paris Ve) qui avait reporté le festival Arabofolies du 31 octobre au 6 décembre, a dû aussi refaire une tournée de mails d’annulations aux artistes. «Lors du premier confinement on était dans quelque chose d’inédit. Là, on sait ce que ça veut dire, donc on va essayer de mobiliser nos neurones et notre imaginaire.» Le niveau de difficulté du casse-tête des adaptations n’a cessé d’augmenter pour au final s’avérer vain. Julien Catala, gérant de l’agence de tournée Super ! et codirigeant du Trabendo à Paris (XIXe), avait pu organiser cet été des concerts sur la terrasse, mais n’a même pas...
Lire la suite sur next.liberation.fr