Quatre mois après sa nomination, elle peine à obtenir gain de cause pour les secteurs culturels, heurtés de ne pas être vus comme « essentiels ».
« Les histoires d’amour finissent mal en général », chantaient les Rita Mitsouko. Quatre mois après son arrivée au ministère de la culture, et alors qu’elle avait signé un sans-faute jusqu’ici, Roselyne Bachelot affronte ses premières difficultés. Ces dernières semaines, l’ancienne ministre de la santé a perdu plusieurs arbitrages importants, liés à l’épidémie de Covid-19, qui jettent un premier voile, depuis sa nomination Rue de Valois, sur sa capacité à peser politiquement pour défendre le secteur culturel. « Après une période d’euphorie où elle avait tout gagné, elle rentre dans le dur », reconnaît un conseiller de l’exécutif.
Le 16 octobre, Mme Bachelot n’a pas réussi à convaincre le premier ministre, Jean Castex, d’assouplir la mesure de couvre-feu pour les salles de spectacle et de cinéma. Ces dernières réclamaient la possibilité pour les spectateurs de rentrer chez eux après 21 heures, munis de leur ticket comme attestation, ce qui permettait de maintenir une séance en soirée. Une revendication jugée « plaidable » par Mme Bachelot, qui l’avait défendue auprès de Matignon. « Je suis (…) la médiatrice entre le monde de la culture et le gouvernement pour que des assouplissements, s’ils sont possibles au vu de la gravité de la crise sanitaire, puissent être mis en œuvre de la meilleure façon », avait-elle expliqué dans un entretien au Parisien.
Las ! Après trois jours de flottement, alimentés notamment par l’Elysée, qui avait fait connaître le soutien d’Emmanuel Macron à cet assouplissement, le premier ministre a imposé une ligne dure, refusant d’accorder des dérogations. « Plus on fait des exceptions, plus il y a de risques que le couvre-feu ne soit pas efficace », avait alors expliqué l’entourage de Jean Castex. Un coup rude pour la ministre, dont l’implication avait donné le sentiment aux professionnels du spectacle et du cinéma que la partie était gagnée.
Jean Castex inflexible
« On n’a pas compris ce refus, la ministre avait été très offensive. C’est vraiment dommage car ce laissez-passer pour les spectateurs qui sortaient du théâtre ou du cinéma aurait été un symbole fort », regrette Aurélie Foucher, déléguée générale du Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (Profedim). « On était prêts à saisir le Conseil d’Etat mais on a été rattrapés par le reconfinement », assure même Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
Quinze jours plus tard, même déconvenue. A peine le pays reconfiné par Emmanuel Macron, les librairies ont plaidé pour être classées comme commerces « essentiels » et donc autorisés à ouvrir, sous réserve de respecter les consignes sanitaires. Une position défendue par de nombreux élus locaux, comme la maire de Paris, Anne Hidalgo, des personnalités du monde de l’édition (Sylvain Tesson, Tatiana de Rosnay, Maxime Chattam, Riad Sattouf, Joann Sfar…) mais également par le ministère de la culture. En pure perte, là aussi. Comme pour le couvre-feu, Jean Castex s’est montré inflexible, au nom de la « cohérence » et de la nécessaire « lisibilité » de la mesure.
Cette fermeté a heurté le milieu de la culture. « Le gouvernement ne mesure pas l’impact psychologique de ces mots “non essentiels”. La culture n’est peut être pas essentielle mais elle est fondamentale. On ne peut pas résumer la vie d’un être humain à boire et manger », défend Bertrand Thamin, président du Syndicat national des théâtres privés (SNTP). « Symboliquement, ces fermetures des librairies en France sont une erreur majeure. Le président aurait dû écouter Roselyne Bachelot et trancher au nom du principe de l’exception culturelle », insiste Pascal Rogard.
Désavouée, Mme Bachelot a même dû insister pour participer à la conférence de presse organisée le 29 octobre par le premier ministre pour détailler le plan de reconfinement, à laquelle, dans un premier temps, elle n’avait pas été conviée.
Ces arbitrages perdus sont d’autant plus visibles que Roselyne Bachelot avait décroché d’importantes victoires depuis son arrivée. Alors que Bercy comptait consacrer 1 milliard d’euros à la culture dans le plan de relance, l’ex-sarkozyste a obtenu, après des négociations qualifiées de « viriles », le double. « Roselyne, elle sait mordre ! », a confié Bruno Le Maire à son entourage.
Même chose pour le budget 2021 de son ministère, négocié cet été. L’an prochain, la Rue de Valois disposera de 167 millions d’euros de plus à dépenser, hors audiovisuel public, pour un total de 3,82 milliards. Soit une augmentation de 4,8 %. Bien mieux que les précédents locataires des lieux, Franck Riester et Françoise Nyssen. « C’est un budget tout à fait exceptionnel par son ampleur », s’était elle-même félicitée Mme Bachelot lors de sa présentation, le 28 septembre.
« Une occasion manquée »
La passionnée d’art lyrique peut aussi se targuer d’avoir fait déplacer, le 27 août, Jean Castex au ministère de la culture. Cela faisait des décennies qu’on n’avait pas vu un premier ministre dans les salons de la Rue de Valois, face aux professionnels du secteur. « Ce jour-là, ils nous ont exhorté à rouvrir nos salles, vantant l’importance du lien social et la nécessité que l’on donne l’exemple », se remémore Bertrand Thamin. Dès fin août, Roselyne Bachelot a fait ses premières sorties théâtrales pour inciter le public à retrouver le chemin des salles en faisant valoir qu’il y avait moins de risque à se rendre dans un théâtre que dans un supermarché.
Mais ces paroles sont déjà révolues et l’angoisse redouble chez les professionnels. « L’effort financier est énorme, reconnaît Aurélie Foucher. Mais après la petite éclaircie de septembre, le couvre-feu et le reconfinement sont des coups de bambou aux effets économiques à nouveau considérables. » Les arbitrages perdus montrent que « ce ministère pèse peu. Castex a toujours des mots charmants sur la culture mais ce n’est pas suivi d’effets. On ne comprend plus la logique de ce gouvernement », s’agace Bertrand Thamin.
Le fait qu’Emmanuel Macron ne cite pas une seule fois le mot « culture » lors de son allocution du 28 octobre, alors que c’est l’un des secteurs les plus impactés par le reconfinement, a aussi heurté et été jugé « incompréhensible ». « Donner de l’argent, c’est bien mais cela ne suffit pas. Il faut combiner...
Lire la suite sur lemonde.fr