L’institution historique, qui regroupe une école de cinéma d’excellence et les archives de la Cinémathèque nationale italienne, a vu sa direction évincée de facto et sa gouvernance réformée par le gouvernement de Giorgia Meloni, dominé par l’extrême droite.
Le cinéaste Nanni Moretti a dénoncé « la violence et la grossièreté » de l’opération. Ses confrères et consœurs Marco Bellocchio, Paolo Sorrentino, Luca Guadagnino, Alice Rohrwacher et plus de 600 autres professionnels du cinéma ont exprimé leur inquiétude en signant un appel publié dans la presse. Dans un entretien au quotidien turinois La Stampa, le réalisateur Mario Martone s’est dit davantage préoccupé par l’affaire que par le conflit social qui paralyse Hollywood. Depuis la mi-juillet, le monde du cinéma italien est ébranlé par les attentions particulières que réserve la majorité dominée par l’extrême droite à l’un de ses monuments les plus précieux, le Centre expérimental de cinématographie (ou Centro sperimentale di cinematografia, CSC), à Rome.
Sans annonce ni déclaration préalable, cette fondation, qui regroupe une école de cinéma d’excellence et les archives inestimables de la Cinémathèque nationale italienne, a vu sa gouvernance refondée et sa direction débarquée de facto au détour d’un décret fourre-tout passé en plein été. Cette réforme pourrait ouvrir la voie, selon ses détracteurs, à une reprise en main politique de cette institution prestigieuse par le gouvernement de la présidente du conseil, Giorgia Meloni. Elle intervient en tout cas dans un contexte où, de l’audiovisuel public aux musées, les ambitions de la droite radicale italienne sur le monde de la culture commencent petit à petit à se concrétiser, animées par la volonté revendiquée de contester à la gauche l’« hégémonie » qu’elle y aurait jusqu’à présent détenue.
« L’Etat finance l’institution, et le gouvernement a bien sûr son mot à dire sur la direction qu’elle prend, mais cette précipitation à prendre le contrôle et à tout bouleverser à l’intérieur est inexplicable », dénonce le réalisateur Michele Vannucci, qui a enseigné au CSC. Héritage paradoxal de la politique culturelle fasciste et d’une période dont il a conservé le style architectural caractéristique, le Centre expérimental, fondé en 1935, a été l’une des matrices du cinéma italien de l’après-guerre. Les réalisateurs Michelangelo Antonioni et Giuseppe De Santis s’y sont formés dans les années 1940, Marco Bellochio l’a fréquenté au tournant des années 1960. Jusqu’à ce jour, l’institution a fourni au secteur des générations de réalisateurs, de scénaristes, de producteurs et de comédiens.
« Un très fort malaise »
L’amendement visant à transformer son fonctionnement a été introduit par quatre députés de la Ligue (extrême droite), le deuxième parti de la coalition dirigée par Giorgia Meloni, dans un décret censé porter les mesures à prendre pour l’organisation du Jubilé 2025 célébré par le Vatican. Adoptées le 3 août, ces dispositions inattendues prévoient de faire passer les nominations des membres du comité scientifique de l’institution sous le contrôle direct de l’exécutif et de leur donner davantage de pouvoir sur son fonctionnement. Elles mettent par ailleurs fin au mandat de ses dirigeants actuels, qui devait se terminer en 2025.
Anticipant son éviction, la présidente de la fondation, Marta Donzelli, a démissionné le 4 août. Le sort qui lui est réservé a causé la consternation de beaucoup dans un milieu où sa compétence comme les projets entamés au CSC semblent faire l’unanimité. Si le départ forcé de Mme Donzelli, nommée en 2021 par un ministre de la culture de centre gauche, est largement considéré comme une manifestation brutale de la part du gouvernement, certains nuancent la portée de cette évolution. « Mais pourquoi sommes-nous si surpris ? Vous ne savez pas que, depuis que l’Italie existe, chaque gouvernement qui change produit du changement ? », a ainsi déclaré l’acteur, réalisateur, scénariste Carlo Verdone à l’agence ANSA.
Pour le libertaire Pietro Marcello, réalisateur et scénariste d’une adaptation napolitaine de Martin Eden, la polémique en cours ne serait qu’un simple conflit partisan. « Tout le monde pleure en voyant la droite arriver, mais tout le système fonctionne comme ça en Italie. Une élite de gauche chasse une élite de droite puis une élite de droite chasse une élite de gauche dans des institutions où la méritocratie n’existe pas », estime-t-il. Les transformations en cours selon lui opposeraient donc un milieu lié aux forces de centre gauche, qui refuse de passer la main, et une droite soucieuse de placer ses partisans.
Sarah Narducci, élève réalisatrice du Centre expérimental, qui prévoit de relancer la mobilisation contre le projet de la majorité à la rentrée, y voit au contraire une manifestation de l’« obsession culturelle » de l’extrême droite au pouvoir. « Il y a un très fort malaise dans l’ensemble du monde de la culture contre lequel cette majorité mène un assaut extrêmement brutal, juge-t-elle. Nous espérons que cette affaire va mettre en lumière ce problème qui va bien au-delà de notre institution et du monde du cinéma. » De fait, l’approche de la droite italienne a été théorisée par certains de ses intellectuels et présentée...
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