Jamais une pandémie n'avait fait taire les orchestres. Comment assurer leur reprise ? Mesurer la projection d’aérosols par les chanteurs, dialoguer avec les pouvoirs publics, réfléchir à leur raison d'être sont autant de pistes à mettre en musique.
Tribune. Quelle triste ironie du sort ! Au moment où le monde entier s’apprête à fêter les 250 ans de la naissance de Beethoven – le «génie sourd» – les orchestres, dont il fut en quelque sorte l’inventeur, sont condamnés à rester muets. Avec eux, c’est toute la grande famille de la musique, des opéras aux formations pop en passant par les ensembles de musique ancienne et les chorales, qui a déserté les scènes et les fosses. En l’espace de quelques jours, elle a fait les frais de la crise sanitaire. Non pas du virus lui-même – qui n’a pas plus décimé les rangs des ensembles musicaux que ceux de la population, même si quelques rares cas isolés de décès lors d’un concert à Amsterdam ont fait les gros titres de la presse –, mais des mesures prophylactiques que les gouvernements ont choisi de prendre.
Cette Generalpause imposée sur la partition de nos phalanges symphoniques a bien l’air d’être surmontée d’un point d’orgue, dont on ne connaît pas la durée. Car si les mesures dites de «déconfinement» prévoient la reprise prochaine de certaines activités culturelles – les musées et le patrimoine –, le secteur musical ne voit pas encore la fin du tunnel. Pour autant qu’il se soit replié sur Internet, les supports numériques ont pour la pratique musicale collective de réelles limites. On peut bien jouer une Sonate et partita de Bach au violon devant son téléphone, on peut même envisager la Méditation de Thaïs en live avec un pianiste…
Ce qui fonde un orchestre est l’esprit collectif
En revanche, le jeu orchestral ou choral est une mécanique bien plus complexe à régler à distance. Plusieurs formations ont courageusement relevé le défi, mais dans un répertoire peu exposé, avec des tempos plutôt stables et au prix d’un gros travail de post-production. Monter la Neuvième de Beethoven dans ces circonstances relèverait d’un vrai défi technique, dont – sans vouloir jouer les Cassandre – le résultat musical serait probablement décevant. Ce qui fonde un orchestre, ce n’est pas la juxtaposition de solistes, mais «l’esprit collectif», c’est-à-dire les regards croisés et connivents des musiciens, la dynamique invisible, la tension insaisissable… Bref, l’«ineffable», pour paraphraser Jankélévitch.
La situation actuelle est inédite. On ne trouvera pas trace, au moins depuis la naissance de Beethoven en 1770, d’un arrêt total de la vie musicale pour cause de pandémie. Mieux, les grandes années épidémiques ont souvent coïncidé avec des créations légendaires. Ainsi, en 1832, dans une France ravagée par le choléra, le Ballet parisien monta la Sylphide, un modèle du genre. Pire, en 1854, alors qu’une autre épidémie de choléra causait la mort de 150 000 personnes en France, Meyerbeer créa triomphalement l’Etoile du Nord à l’Opéra-comique. Il a pourtant cru jusqu’au dernier moment qu’elle serait annulée… à cause de la guerre de Crimée ! Plus près de nous, à l’hiver 1918-1919 en pleine pandémie de grippe espagnole (240 000 morts en France et 550 000 aux Etats-Unis), Roberto Maranzoni créa...
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